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L'ouvrage que nous vous proposons, vous plongera dans l'univers d'un paysan du XIXe siècle. Vous partagerez les tribulations de la famille WUCHER, vous découvrirez les aléas climatiques et vous éclairera sur le quotidien et la vie d'une famille paysanne alsacienne. Fragments d'une vie, chroniques d'un paysan de Valff, Florent WUCHER, au XVIIIe siècle. 

« Geschichte der Famili Antoni WUCHER von Valf den 18 Herbstmonat 1797 … » : c'est ainsi que débute le recueil d'histoire de la famille WUCHER. Le registre est conservé dans les archives de la commune.  L'auteur, Florent, ne parle de lui qu'à la troisième personne. Il n'exprime que peu ou pas de sentiments. Il passe dans la même phrase de l'annonce de la mort de sa fille au temps qu'il fait. Il détaille surtout avec précision, des événements climatiques exceptionnels. Les mémoires débutent par la phrase suivante :

Ceci est l'histoire de la famille d'Antoine WUCHER de Valff

Le 18 Herbstmonat (septembre) 1797, Antoine WUCHER, né le 15 juin 1772 à Niedernai a épousé Anne Marie KORMANN, née le 2 Hornung (février) 1770. Il est le père de Florent (l'auteur). Le père d'Antoine WUCHER s'appelle aussi Antoine et la mère Marguerite LUTZ, tous deux sont agriculteurs à Niedernai. Le père d'Anne Marie KORMANN s'appelle Florent BLAISE et la mère Anne Catherine LUTZ, tous deux exploitent la ferme à Valff où habite notre famille. Voici quelques dates de notre vie :

Parlons maintenant de l'année 1816 qui amena un peu de calme dans les chaumières, mais avec de sérieux remous politiques. Cette année débuta agréablement jusqu'au 15 avril. A partir de cette date, le temps changea en morose jusqu'en hiver. Pendant six semaines on a du faire les foins. Le foin du Bruch a été récolté dans l'eau. Toute l'année le Bruch a été inondé. Les terres n'ont fait pousser que de la mauvaise herbe (Häderich : les Valffois ont pour surnom les Haderistehle : les tiges de Gaillet).

C'est à cause des inondations que l'on a fait la dernière récolte de seigle le jour de la Mariageburt (8 septembre). Il n'y eu qu'une demi récolte. Même pas besoin de parler de vin, cette année là ! A la Saint Martin le blé coûtait 60 francs, am Weinmonat (octobre) déjà 80 et à Pâques jusqu'à 124 francs ; l'orge 30 puis 50 puis 80 francs. Un hiver très chaud succéda à un été sans chaleur.

L'année 1817 débuta pluvieuse mais chaude. Malgré la terre durcie il y eu une grande récolte de foins, des fruits moyens, beaucoup de tabac et un peu de vin aigre. Tel a été l'année 1817. Le 8 octobre 1817, Florent WUCHER a encore été affecté d'une maladie mortelle. Une fièvre (4), Nervenfieber, l'a paralysé pendant 4 semaines, la maladie a duré 15 semaines. Les soins ont aussi coûté beaucoup d'argent.

Parlons maintenant à l'année 1818 qui débuta humide, suivie d'une chaleur et d'une sécheresse sans pareil. On a cru que tout allait être carbonisé. Cette année produisit une récolte moyenne mais un vin excellent. Dans le haut-village, un bambin d'environ 7 ans du nom de Bastien (5) possède un don avec, on ne sait, une sorte de force magnétique. Lorsqu'il touche quelqu'un et que ce dernier souffre d'une toux ou d'une autre affection, celle-ci disparaît aussitôt. Il faut reconnaître qu'à ma connaissance cela ne dure que pour un temps. En novembre les habitants ont creusé la nouvelle rivière et les alliés sont retournés chez eux au-delà du Rhin. Enfin !

L'hiver 1919 a été moyennement froid suivi d'un été chaud. Le printemps fut agréable. En avril on avait des températures d'un mois de mai. Les prés se sont recouverts d'un manteau de fleurs multicolores magnifiques. Les vignes commençaient à fleurir et le 3 Brachmonat (juin) ... tout a été anéanti ! Ce matin là, le soleil se montra légèrement rougeâtre à 8 heures et une brume enveloppa les sommets des Vosges. Toute la matinée une chaleur lourde et oppressante fit souffrir hommes et bêtes. Vers 10 heures, des nuages sombres et lugubres s'accumulèrent sur la vallée de Barr. On su qu'un orage violent se préparait ... un grondement de tonnerre ... puis une pluie fine jusqu'à 11 heures poussée par un vent froid de nord-ouest ... puis d'un coup pendant près d'une demi-heure, des grêlons gros comme des œufs ou des noix frappèrent le pays. Personne s'en est sorti sans dégât. Des gens ont frôlés la mort ! La destruction de toitures et des biens a contraint certains à se sauver dans la rue.

Le Kappelveld, Langenveld, Neuland, Breitmatt, Innwendig Riederveld, Auswendig Riederveld et la moitié de Anna, Blasenveld, Lützelveld et Oberveld ont été saccagés. Les feuilles des arbres fruitiers et des vignes furent totalement pulvérisées et leur écorce hachée menu. Le total des dégâts a été expertisé à 139 000 francs (6). Tous les champs ravagés n'ont rien produit cette année. Pourtant l'année 1819 a été productive partout ailleurs dans le pays. Les céréales, le vin et le tabac auraient pu bien réussir ... Ce fut un grand malheur ! Un hiver froid succéda à un été chaud.

L'année 1820 fut assez ordinaire. Chaleur moyenne, peu d'orages. Nous avons fait une production de 4 Viertel 5 Sester de semis d'orge (7). 

Avec l'année 1821, un hiver tiède s'est suivi d'un léger refroidissement et l'humidité fit abonder les céréales et la paille mais l'on récolta que peu de vin. Cet hiver clément, un printemps et un été chaud préserva les rongeurs.

Année 1822. Hiver chaud, printemps chaud. Les souris qui s'étaient reproduites pendant le début de l'année ont commencé à envahir peu à peu les champs en mars. Ce mois de mars on se serait cru en plein été. Tout était vert et les arbres en fleurs. A partir du 15 avril les températures grimpèrent encore. Le 21 mai, il tomba un tout petit peu de pluie, puis la chaleur repris de plus belle. C'est à ce moment là que l'invasion des souris commença. Elles envahirent les champs. Elles infestèrent les maisons. On les entendait se promener la nuit. Partout où l'on posait le pied, elles sautaient et couraient de tous côtés. Rien ne fut épargné. Rien ne leur résista.

Müesbohrer : pièce en bois qui servait à creuser des trous dans les champs. Les souris y tombaient et étaient exterminées au matin par les propriétaires (collection André VOEGEL)

A partir du 30 mai on a récolté des cerises puis des poires et le 15 juin la récolte des foins était pratiquement terminée. On a même mangé des prunes et d'autres fruits ! A la Saint Jean (24 juin) on a commencé à récolter le blé et l'orge. Les souris avaient elles aussi commencé leur récolte ! C'est à ce moment  que je me suis souvenu du proverbe : « Qui ne vient à l'heure se contentera du reste » (Wer nicht kommet zur Rechten Zeit der bekommet was übrich bleibt ).

Il n'était pas rare de récolter sur un demi-acre que seulement 10 à 30 gerbes. On a été obligé de les ficeler et les redresser sous peine de voir, dans les 24 heures, tout disparaître. En l'espace d'une semaine est venue la maturation de l'orge. Si les températures ne s'étaient refroidies en juillet on aurait pu , à Mariahimmelfahrt (assomption), débuter les vendanges ! Certaines grappes avaient commencé à mûrir et les prunes étaient déjà blettes et passées. Le peu de tabac qui avait échappé à la sécheresse, aux souris et aux vers, avait une belle croissance. Le 4 septembre, l'automne a pris ses quartiers. La saison se passa comme le reste : on a tout fait à la va-vite. Le 8 septembre 1822, Florent WUCHER (l'auteur lui-même), avait déjà bu du vin bourru de l'année ! Quelle année que cette année là !!!

La suite de cette chronique, nous parlerons du décès dans d'affreuses souffrances du père de Florent, du feu dans le clocher de l'église Saint Blaise et du sacristain foudroyé et de bien d'autres choses. Retrouvez l'histoire complète de Florent WUCHER, paysan à Valff (1798-1841), dans tous les épisodes des fragments de sa vie.

(1) Friesel : il pourrait s'agir de la frontanelle , relatif aux os du crâne. Il semblerait que Florent ai souffert d'une forme de méningite d'où sa surdité.

(2) Après la retraite de Russie, le reste des troupes de Napoléon tentèrent d'arrêter les armées Autrichiennes et Russes aux portes de la France. Dans la région de Saverne se déroulèrent des batailles décisives. Le château de la Petite Pierre résista pendant 3 mois. Des contingents de la Garde Nationales envoyés au front, traineront la patte pour rejoindre leur destination, beaucoup d'enrôlés et de conscrits se perdront volontairement en route ...!

(3) De 1815 à novembre 1818, l'Alsace se vit obligée d'entretenir 40 000 soldats de la coalition (essentiellement des autrichiens et des saxons)

(4) Certains chroniqueurs associent le terme Nervenfieber au thyphus

(5) Le prénom Bastien est rarement usité à Valff. Le seul enfant de ce nom est Sébastien HIRTZ, né le 20 janvier 1813, d'Antoine, tonnelier et de Salomé OFFENSTEIN. Ils quittèrent Valff avant 1836

(6) Suite à la catastrophe, la commune fit une demande d'indemnisation au préfet en faveur des sinistrés. Celui-ci consent enfin en avril 1820 à verser une somme de 10 000 francs sur les 139 000 demandés. Après de nombreuses tractations, la commune reconnu son impuissance dans la répartition de cet argent. Le partage arbitraire entraînera des jalousies, des  injustices et des rancœurs parmis la population ! (d'après un rapport de la commune)

(7) L'unité de mesure est le Viertel  (ou rézal 110 litres), le sixième du rézal est appelé le Sester (ou boisseau 20 litres), 1/24eme du Viertel est le Vierling (quarteron 5 litres) 1/96ème du Vierling est le Messel (litron 1,2 litres). Expressions populaires : Verstehen vom Sester kenn Massel  (ne pas comprendre la moindre chose). Er het nig's em Sester  (il n'a rien dans le ciboulot) ou Ar het a Loch em Sester (il a un trou dans la carafe)