Affichages : 1069

Fragments d'une vie, sont les chroniques d'un paysan de Valff, Florent WUCHER, au XVIIIe siècle. Deuxième partie. Dans le premier épisode, nous avions laissé Florent WUCHER goûter avec délectation début septembre sa production de vin nouveau de l'année exceptionnelle de 1822. Mais les années se suivent et ne se ressemblent pas. Il ne se doute pas de ce que lui réserve l'année à venir. Le récit se poursuit par le constat d'une récolte de fin d'année modeste. 

Durant l'automne, les récoltes de foin, de tabac et de pommes de terre se firent dans une grande chaleur. Les vers et les souris avaient détruit la grande partie du tabac et des pommes de terre. La chaleur se poursuivit jusqu'aux mois d'hiver. Pourvu que l'hiver soit rigoureux pour que ces foutues souris crèvent ! Heureusement qu'à partir du 11 décembre et jusqu'au 7 Hornung (février) 1823, c'est à dire durant 56 jours, il sévit un froid intense. Et c'est ainsi que s'acheva cette étrange année 1822. Le blé a rapporté 22 francs toute l'année, l'orge 15.

Le 25 Herbstmonat  (novembre) a débuté pour notre famille, une série de grands malheurs. Déjà depuis l'été, notre père (Antoine WUCHER) se plaignait de coliques. Il pensait que c'était la faute aux quetsches qu'il aimait tant. Il pensait se rétablir tout seul, mais il n'en fut rien. Il alla consulter le docteur SULTZER (en photo ci-dessous) de Barr (1) qui lui conseilla de manger des féculents, mais aucune amélioration ne s'en suivit. Puis le docteur ordonna des cataplasmes pendant 8 jours. Il apparut alors au dessus de son anus une excroissance de chair rouge comme une cerise. Cette dernière s'est fendue par le centre de sorte qu'il s'y fit une ouverture suintante qui grossissait encore et encore. Au bout de deux mois son arrière train ne ressemblait déjà plus à rien de normal. D'après le médecin, cette maladie a pour nom : cancer ouvert. Elle causa à père les pires souffrances. Le 8 décembre 1822, pour la première fois, père ne s'est plus levé de son lit pour ne plus le quitter. Le 27 décembre, mère aussi est tombée malade et a gardé le lit jusqu'au 1er mars 1823. Epuisée et ravagée elle ne supportait plus, tout comme nous, les gémissements et les cris de douleur de jour comme de nuit de père. 

Cet hiver, avons en plus beaucoup souffert du grand froid. Le 2 mai, Florent WUCHER (l'auteur) s'est dit s'être jeté sur le lit des mourants par répugnance et dégoût (Florian hat sich in das Krankenbett geworfen wegen seinem Ekel). Il restera prostré pendant 15 jours. Le 24 Brachmonat (juin), père est enfin décédé à 50 ans avec les bénédictions et sacrements (2). Aux innommables souffrances qu'il a dû endurer pendant neuf mois, il faut ajouter le poids des frais médicaux pour toute la famille. Le tout nous a coûté 1200 francs. Les frais d'enterrement et de notaire 176 francs. Et comme nous n'avions pas encore assez souffert , nous avons subi la perte de deux chevaux d'une valeur de 350 francs. Le 21 Heumonat (juillet) Magdalena WUCHER la sœur de père, est morte aussi. Elle ne s'était pas remise des suites d'une fracture à la jambe ... Une année maudite !

 

Les débuts d'année 1823 laissèrent présager d'une abondante récolte. Il y eu du foin, de l'orge, de la paille longue, du tabac, des choux et des pommes de terre. Tout en grande abondance. Malheureusement au mois de juillet les fruits sont tombés à terre. Un hiver moyen mis fin à cette année où il ne s'est rien passé d'exceptionnel. Après l'année passée nous avons tout doucement repris le court normal de la vie.

L'année 1824 s'est déjà annoncée au mois de mars pour être une année humide. Mars pluie, avril pluie, mai pluie, juin pluie, juillet pluvieux, en août beaucoup de pluie, septembre et octobre de grands orages et de la pluie jusqu'en hiver. Cette année il y eu beaucoup de foin et de paille, du blé et de l'avoine. Les pommes de terre et d'autres fruits ont également réussis. Le blé valait 15 francs, l'orge 5 à 8 francs, les pommes de terre 1,50 francs.

Récolte des pommes de terre Goxwiller (Fond Blumer, archives de Strasbourg)

1825 fut une année chaude. Tout fleuri parfaitement. L'été fut sec. Les récoltes se réalisèrent en temps voulu. Seul les souris causèrent quelques dégâts. Le vin fut exceptionnel. Le blé valait de 16 à 20 francs, l'orge 8 à 10 francs. Après un été chaud s'en suivi un hiver plutôt froid.

Jules KONRAD

Durant l'année 1826 le printemps resta assez sec. Soleil en avril et très chaud. Le 1er mai, on a eu un violent orage avec grêle et beaucoup de pluie. S'en résulta une récolte de peu de foin, de fruits et de paille. Alors que chez nous est tombé la grêle, à Barr c'était le déluge. A Gertwiller et Bourgheim, l'eau est rentrée par les fenêtres des maisons. Ici, à Valff, l'eau n'a pas fait de dégâts sérieux. Le regain était couvert d'une boue jaunâtre. Cette année, l'automne a plutôt bien réussi sauf le vin qui était léger à cause de l'abondance d'eau. L'hiver a d'ailleurs été correct jusqu'à la chandeleur, 2 février (Lichtmesse) où les vignes ont gelé.

L'année 1827 a aussi débuté favorablement. Ce fut une année chaude et sèche mais orageuse. La récolte des foins fut abondante et même le vin et d'autres fruits ont été satisfaisant. Tout aurait été parfait s'il n'y avait pas eu ce 5 août. Ce jour là se déroula un désastre malheureux que je vais vous raconter : « Les événements à Valff du 3 au 5 août 1827. Le matin du jeudi 2 août 1827, nous entendions déjà au dessus de nos maisons quelques grondements de tonnerre descendant des Vosges. Une pluie fine accompagnait beaucoup d'éclairs sourds. On craignait beaucoup de pluie mais l'horizon se dégagea et nous en avons profité pour rentrer toute l'orge malgré la grande chaleur de ce jour. Au soir et durant toute la nuit sans s'arrêter, les éclairs illuminèrent les montagnes. Il faisait une chaleur torride. Au matin le ciel peu à peu s'obscurcit. L'air devint irrespirable. Des éclairs et des tonnerres ne présageaient rien de bon, mais vers 16 heures nous constatèrent avec soulagement que le ciel s'éclaircit à nouveau.

Au troisième matin, des nuages sombres se déplacèrent, certains vers le Nord, d'autres vers le Sud. Un gros nuage noir venant de la vallée de Barr choisit de descendre droit sur le village. Peu de tonnerres, peu de pluie ... Mais d'un coup, la foudre tomba sur le haut du village ; un noyer plia. Puis un deuxième éclair ... celui-ci choisi le clocher de l'église. La décharge traversa le clocher à côté de la corde des cloches et ressortit au niveau des jardins. Un deuxième trait pénétra par l'autre toit. Il pulvérisa les planches en sapin ainsi qu'une poutre de la charpente qui s'enflamma. Il fracassa une deuxième poutre et détruisit le tableau de Saint Sébastien stocké dans la tour. Sous ce tableau, un bout de planche était brisé d'une ouverture d'une grandeur de main qui aurait permis de passer un couteau. C'est à cet endroit que la foudre a tué l'aide instituteur et sacristain Karl FUCHS, originaire d'Uttenheim (3). 

Sa tête était bleue d'un côté et rouge sang de l'autre. Sa poitrine était gonflée, ses habits et ses chaussures en lambeaux. C'est une boule de feu (die Augen des Streichs) qui causa sa mort. Au moment de la décharge se tenaient à ses côtés, près de la petite corde des cloches, deux enfants de cœur que la foudre projeta au sol mais sans les blesser. Des habitants ont de suite accouru. Le charpentier de Valff, Ignace GRAF, a arraché avec son matériel de charpentier au péril de sa vie, les planches du clocher en feu. Les dégâts matériels sont limités, mais le traumatisme des habitants est immense. Deuil et consternation. Le pauvre Karl FUCHS fut enterré le 4 août en présence de tous les habitants sans exception qui l'appréciaient et le regretteront ». Il fut foudroyé à 5 heures en sonnant les cloches pour l'office des mâtines ...

La vie reprend son cours. Florent WUCHER témoignera des événements de son époque et les transcrira jusqu'à sa mort. Retrouvez l'histoire complète de Florent WUCHER, paysan à Valff (1798-1841), dans tous les épisodes des fragments de sa vie.

Livre de recueil des mémoires de Florient Wucher

(1) Le docteur Charles SULTZER est essentiellement connu comme médecin cantonal et bienfaiteur de l’hôpital de Barr. Son activité dans les domaines de la botanique et de l’anatomie est aussi remarquable. Charles Michel SULTZER est né à Strasbourg le 15 avril 1770. Dès le début de la période révolutionnaire, il est nommé chirurgien-aide major dans un bataillon de la Garde Nationale de Strasbourg. En 1803, il s’installe, comme médecin, à Barr, patrie de son maître HERMANN. En 1810, il devient médecin cantonal, médecin des épidémies de l’arrondissement de Sélestat. Il est nommé Professeur Agrégé Libre de la Faculté de Médecine de Strasbourg. Il est membre de l’Académie Royale de Paris et correspondant de nombreuses sociétés savantes. Il pratique avec ferveur la vaccination contre la variole de JENNER dont il fut un disciple consciencieux et infatigable. Le Docteur SULTZER est, à plusieurs reprises appelé comme expert en anatomiste. Les expertises anatomiques et anthropologiques les plus exceptionnelles qu’il réalise sont celles des ossements de Sainte-Odile en 1836 et 1841 et de Sainte-Richarde en 1841. A sa mort, le 30 juillet 1854, il lègue une somme de 240 000 francs pour créer un hôpital à Barr. On peut se recueillir sur sa tombe au cimetière protestant de Barr.

(2) Antoine WUCHER mourut à l'âge de 50 ans le 22 juin. Époux d'Anne Marie KORMANN sur la déclaration de Chrétien BURGSTAHLER, ancien maire démis de ses fonctions en 1812 et beau-frère d'Antoine.

(3) Charles FUCHS mourut âgé de 21 ans. L'accident se produisit à 5 heures du matin en sonnant les cloches des mâtines, ce qui troubla profondément les habitants. La foudre le frappa en préparant l'office. Son père Antoine, journalier, habitait au 112 de la rue principale. Sa mère s'appelait Anne KORMANN. Florent était donc en parenté avec la victime du côté de sa mère.