© M. Rothé

Témoignage et souvenirs d'André VOEGEL sur les derniers juifs de Valff pendant la Seconde Guerre mondiale.

En 1935, j'avais 10 ans. En cette année. le culte à la synagogue fut supprimé et je me rappelle de cette cérémonie émouvante, en présence de tous les juifs de Valff et environs. Les assistants étant trop nombreux, une grande foule dut suivre l'événement de l'extérieur. La cérémonie était présidée par le rabbin BLOCH de Barr, qui dans son sermon exprima les sentiments de douleur ressentis par l'abandon d'une maison de Dieu de Valff (photo), qui pendant 100 ans avait vu naître, marier et mourir, partager les joies et les peines des israélites de Valff. Les énormes rouleaux de la Torah quittèrent la synagogue pour celle de Barr. En fin de cérémonie, une prière fut prononcée pour le salut de la France.

A Valff, il ne restait plus que deux familles juives et deux célibataires. La première était la famille Henri WEIL. Elle habitait dans la rue Meyer. La femme de Henri, Hélène, était très belle avec des cheveux noirs comme lui, pourtant ses deux fils étaient roux. André est né le 26 décembre 1924 minuit passé, mais la sage-femme voulant bien faire le déclara né le 25 pour faire …  «  a Christkindel ».

Roger, né en 1924, et André fréquentaient l'école primaire de Valff. Ils n'assistaient pas à l'enseignement religieux catholique enseigné le matin entre 8 heures et 9 heures. Roger était un garçon intelligent. Un jour, suite à un agacement, le maître d'école GUGUSMUS avait décidé de punir chaque élève par deux coups sur la main. Courageusement, Roger s'est levé pour protester, rappelant au maître qu'il était interdit de frapper les élèves innocents. Il ne fut pas fustigé, mais se vit contraint de recopier quelques centaines de fois une phrase de morale concoctée par GUGUSMUS. Cet événement et d'autres amena la « Vox Populi » à conclure que, lorsque, quelques années plut tard, GUGUSMUS construisit bien en face sa maison devant celle des WEIL à Barr, il prit sa revanche pour ces années de frustrations.

Henri était un des plus grands maquignons de la région. Il déménagea à Barr bien avant la guerre où il construisit une maison et une grande étable à bestiaux (en face de la gendarmerie). Pendant la guerre ils furent expulsés en zone libre. Henri mourut à Strasbourg en 1947.

Témoignage de André WEIL racontant les événements tels qu'il les a vécu

« Nous avons dû quitter Barr en 1942. A l'aide d'une voiture prêtée par un ami, nous sommes descendu, mes parents, mon frère et moi vers Gap où mon père connaissait un certain gendarme. Une fois arrivés sur place, notre occupation première fut de trouver un logement. Accompagné du gendarme, nous avons fait du porte à porte sans résultat. Au moment d'arriver devant une église, notre accompagnateur demanda à mes parents d'attendre un instant et s'engouffra à l'intérieur. Alors qu'il était en train de donner la confession, un prêtre sortit, laissant ses paroissiens et vint à notre rencontre. « Nous cherchons un logement » expliqua mon père. « C'est très bien, justement je dispose d'un petit appartement, il n'est pas luxueux, mais il pourrait faire l'affaire » dit le curé.

Gênée, ma mère, pensa bon de préciser : « Vous savez, il y a un problème : nous sommes juifs ». « Mais, Madame ... cela ne me pose aucun problème, nous avons tous le même Dieu ! » s'exclama le prêtre. Sur ce, il nous emmena dans un petit logement qui était contigu à une chambre dans laquelle vivait une mère et son fils handicapé avec lesquels nous avons eu d'excellent rapport de voisinage. Même pour le loyer, le prêtre se voulu conciliant. « Vous me payerez quand vous le pourrez » ajouta-t-il, alors que le loyer était déjà modeste. Je serai toujours reconnaissant à ce prêtre sans préjugés.

Plus tard, mon frère nous quitta et rejoignit le réseau Brutus de la résistance. Nommé sous lieutenant, il participa à des actions clandestines. Malheureusement, trahi, il tomba entre les mains de la Gestapo. Il fut incarcéré et torturé au fort Montluc de Lyon. Comme il avait prit une fausse identité, les allemands le déshabillèrent pour voir s'il était circoncit. Il mourra le 31 juillet 1944 dans le camp de Mauthausen.

Après la guerre, je suis retourné à Barr où j'ai épousé une fille originaire de Stotzheim, Henriette GRAFF. De directeur de l'usine REMINGTON à Huttenheim, je suis parti au Canada puis aux Etats Unis. Maintenant, j'habite près de Nancy, où, avant de prendre ma retraite, j'ai dirigé un magasin de bricolage ».

La deuxième famille habitait également rue Meyer. Julien, le père, avec Marthe sa femme et ses deux enfants dont Roland décédé il y a peu et enterré à Valff. Lors de son enterrement. les quelques juifs présents ont félicité le curé de Valff pour la cérémonie et pour les quelques prières talmudiques qu'il avait lues.

Julien le père, fut expulsé en zone libre comme tous les autres juifs. Il a fait étape à Épinal où il savait la présence dans le chapitre Saint Goery, de la tante de René HIRTZ, Françoise, sœur garde-malade. C'est là qu'il fut hébergé pendant quelques jours avant de poursuivre sa route. Cette religieuse s'occupait pendant l'occupation des déserteurs, des expulsés et des maquisards ce qui lui valu d'être décorée après la guerre par le Général de Gaulle de la légion d'honneur.

Une des personnalité légendaires du village était Aaron WEIL, connu sous le sobriquet « der Aaron ». C'était un petit homme célibataire vêtu d'une blouse élimée poussant devant lui une charrette à main « Kutsch » où il mettait les peaux de lapin qu'il achetait dans le village même et les villages environnants. Aaron était un juif très pauvre et habitait une vieille maison au n°182 juste devant la synagogue. A l'arrivée des troupes allemandes il fut expulsé en zone libre française où il passa les années de guerre près de Chambéry. A la fin des hostilités, après la libération de l'Alsace il put regagner sa maison natale. Lors du dernier office religieux à la synagogue de Valff en 1935, il fut très affecté et pleura beaucoup. Il mourut en 1947, à Valff, à l'âge de 84 ans.

Dans le haut village, dans la dernière maison à côté de la Kirneck, à gauche en allant vers Zellwiller vivait un vieux juif surnommé « der Jegel ». Il vivait avec une femme appelé « Metzeri Lenel ». Il avait laissé entendre qu'il avait des attaches en Amérique desquels il percevait des subsides. Personne ne se rappelle de son vrai nom. Dans la rue Thomas au n°63 se trouvait une petite construction faisant office de boucherie. Exploitée par Marcel et Julien WEIL de Barr où ils possédaient également une boucherie-charcuterie dans la rue des boulangers.

« Donnet Zedel » de Marcel WEIL stationnée devant sa boucherie de la rue Thomas. Assis sur le capot : Roland WEIL (décédé le 13 avril 1992). A gauche : Aaron WEIL (décédé le 17 janvier 1947)

L'exode 

Le paroxysme de l'intolérance et de la xénophobie se manifesta par la Shoah (hébreu : catastrophe) qui est le dernier génocide de la série dont furent victimes les juifs, entre-autre, en Alsace. Fin 19ème, début 20ème siècle, la population juive de Valff déclina. Certains, originaires des villages de Zellwiller et Valff s'installèrent à Barr, Obernai ou Strasbourg. En 1939, 15 000 Juifs d’Alsace-Lorraine fuirent leur région, dont, certains, évacués comme une partie de la population dans le sud de la France.

Le 13 juillet 1940, le gauleiter Robert WAGNER (photo, il a été fusillé au Fort Ney au nord de Strasbourg le 14 août 1946) décide d’expulser les Juifs encore restés en Alsace et de confisquer tous leurs biens, intérêts et droits au profit de l’État. Plus tard des rafles en France amèneront certains à leur perte. Encore aujourd'hui, des descendants de familles originaires de Valff se battent avec des banques suisses pour récupérer leur bien placé à l'époque par leurs familles mortes dans les camps. Le plus grand problème est de pouvoir fournir des documents perdus ou détruits pendant la guerres.

Liste des personnes juives ayant leur racine à Valff, victimes de la Shoah :

  • Lucien BLUM, 62 ans : né à Barr le 21.03.1882 de David (Valff) et Eugénie (Hattstatt) WEILL, commerçant, déporté et mort à Auschwitz le 20.02.1944 avec son épouse Jeanne DIDISHEIM.
  • Marcel Moïse MEYER, 38 ans : né à Valff le 12.12.1906 de Gerson (Valff) et Pauline (Valff) WEILL, époux de Simone ISRAEL (Strasbourg), boucher. demeurant 26 Grand'Rue à Barr, réfugié à Périgueux, dénoncé, déporté à Auschwitz le 29.04.1944. Survivant.
  • Corinne MOYSE, épouse BLOCH, 58 ans : née à Barr le 01.06.1885 de Joseph MOSSES (Valff) et Mina BLOCH (Ingwiller), épouse de Maurice BLOCH (Paris), demeurant à Toulon, déportée à Auschwitz le 07.10.1943 avec son époux et ses 3 enfants, Marlyse, Colette et Georges. Témoignage recueilli par son neveu.
  • Marlise Léa WEIL, 19 ans : née à Barr le 22.02.1924 de Moïse (Valff) et Estelle SCHWED (Grussenheim), demeurant à Barr, rue Rotland, réfugiée à Plombières-les-Bains dans les Vosges, internée au camp d'Ecrouves, déportée à Auschwitz le 18.07.1943.
  • Albertine SIMON WEIL (ci-dessous) : née à Valff en 1878 d'Isaac et Rosalie, née WROMSER. Elle était mariée à Paul SIMON. Avant et pendant la guerre. elle vivait à Reims. Albertine périt en 1944 à Auschwitz, à l'âge de 66 ans. Cette information est basée sur le témoignage de sa nièce.

  • Ernestine LEVY : née à Seebach. Elle était mariée à Moïse LEVY. Avec Moïse, ils ont vécus à Valff puis à Obernai. Avec sa famille, elle vécu à Marseille pendant la guerre. Elle mourut à Auschwitz.
  • Roger WEIL (ci-dessous), 20 ans :  né à Strasbourg le 26.06.1924 d'Henri WEIL (Valff) et Hélène REES (Soultz-sous-Forêts), demeurant avec ses parents à Barr au 28 rue du Général Vandenberg. Grand résistant, nommé à 18 ans sous-lieutenant du réseau Brutus, incarcéré et torturé au fort Montluc de Lyon, déporté à Auschwitz le 31.07.1944, il périt à Mauthausen. Témoignage transmis par son frère.

  • Moïse LEVY : né à Valff en 1872 de Salomon et Pauline GEIMAR. Il était commerçant et marié à Ernestine LEVY. Avant la Seconde Guerre mondiale il a vécu à Obernai. Au cours de la guerre, il était à Marseille. Moïse périt le 23 juillet 1943 dans la Shoah. Cette information est basée sur le témoignage de son petit-fils. 
  • Ernest LEVY : né en 1912 à Valff de Moïse et Ernestine LEVY. Il était pharmacien. Avant la Seconde Guerre mondiale il a vécu à Obernai. Pendant la guerre il était à Marseille. Il a été envoyé avec le transport 63 de Drancy à Auschwitz le 17.12.1943. Ernest périt en 1945 à Weimar à l'âge de 33 ans. Cette information est basée sur le témoignage  de son neveu.
  • Rachel WELIN : née Kadesh en 1876 à Olkieniki de Barukh et Meita. Elle était femme au foyer et mariée. Avant la Seconde Guerre mondiale elle a vécu à Valff. Rachel péri en 1942 à Treblinka, en Pologne. Cette information est basée sur le témoignage de sa cousine.
  • Moïse WEIL, 55 ans : né à Valff le 12.02.1888 de Maurice (Valff) et Fransiska WEYL (Rosheim), époux d'Estelle SCHWED (Grussenheim), marchand de bestiaux, demeurant à Barr, rue Rotland, réfugié à Plombières-les-Bains dans les Vosges, interné au camp d'Ecrouves, déporté à Auschwitz le 18.07.1943, mort le 23.07.1943

Pourquoi soulever le couvercle d'un passé douloureux. Peut-être pour nous arrêter, un instant, avant de replonger dans notre quotidien trépidant sur la vie d'hommes et de femmes qui ont fait notre présent. Notre village, tel que nous le connaissons a été façonné par ceux qui l'ont habité. Mais une autre raison, concerne ces personnes, qui, pour une raison personnelle, humaniste, éthique ou religieuse ont risqué leur vie ou sont mortes afin de résister à l'hydre de l'idéologie. Leur exemple d'abnégation mérite notre estime.

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.