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Conformément à l'ordonnance du 8 mai 1941, le Gauleiter Robert Wagner instaure en Alsace le RAD. Les premiers incorporés dans l'Arbeitsdients est la classe 1922-42 en octobre 1941. Retour sur le Reichsarbeitdienst (RAD), service de travail obligatoire, grâce aux mémoires d'André VOEGEL.

Dans cette série d'articles nous allons reproduire le déroulement de la vie d'un Malgré-nous alsacien. André VOEGEL est né à Valff le 27 septembre 1925. A l'aube de cette deuxième guerre mondiale nous allons découvrir les dessous d'une jeunesse sacrifiée, la lutte pour la survie et la vanité d'une guerre imposée. Suivons son parcours relaté dans son cahier de mémoires. 

Photo souvenir de conscription : André VOEGEL est dans la rangée du haut, 1er à droite. Le bonheur avant la tempête !

1939, année d'insouciance

Le RAD : la bourrasque avant la tempête

Le recensement de ma classe 1925 se fit fin juillet 1942 à Sélestat. Objectif : une incorporation au RAD (Reichsarbeitdienst = travaux d'Intérêts pour le Reich) pour début 43. Par suite d'une circonstance particulière, mon incorporation fut différée au 24 novembre 1943. Une fille de Barr, employée au secrétariat du bureau de recrutement de Sélestat avait tout simplement « oublié » d'écrire mon nom dans les délais prévus. Le service rendu par la fille en question fut compensé par des dons en nature : lard, poules, œufs, beurre que mes parents offrirent volontiers. Tout s'achetait pendant la guerre, même un report d'incorporation ...

Les jeunes allemands étaient astreints à ce service dès 1935. Le RAD était une organisation paramilitaire dans laquelle les jeunes alsaciens furent incorporés par ordre d'appel comme l'incorporation dans la Wehrmacht. Les appelés portaient un uniforme brun. Ils n'avaient ni arme, ni casque, mais étaient dotés d'une bêche. On nous apprenait à manier cette bêche comme un fusil et rendre les honneurs. L'emblème du RAD était dérivé du drapeau nazi, mais sur la croix gammée était ajoutée une pelle entourée de deux épis de blé. Le RAD devait servir théoriquement à divers fins : participation aux récoltes, travaux publics, construction d'autoroutes, mais également l'instruction militaire. Il était soumis à un régime disciplinaire militaire.

Au mois de novembre 1943, je dus rejoindre mon unité située à Strasbourg-Meinau en bordure du canal, la RAD Abteilung 5/274. Ce fut encore grâce à cette fille citée plus-haut, que je dois la chance d'avoir été envoyé dans une unité non loin de mon domicile. En principe, les alsaciens devaient rejoindre des unités stationnées outre Rhin. Je me présenta donc confiant au poste de garde, où j'ai été reçu par un gradé de l'Arbeitsdients. J'appris vite la réalité. J'ai du sûrement mal me comporter en oubliant volontairement de faire le salut hitlérien. En ne levant pas la main tout en prononçant un « Heil Hitler » d'usage, j'allais découvrir la joie du RAD. Je n'avais pas encore franchi le seuil de la porte, que les injures volèrent. Ce premier contact avec les nazis me glaça et reste profondément gravé dans ma mémoire. Jamais dans ma vie je n'avais dû affronter une telle humiliation, jamais dans ma vie ma dignité ne dû souffrir pareille bravades. Par ce genre de méthode humiliante on tentait de mater les velléités de résistance alsacienne au régime nazi en pratiquant la « Gleichshaltung » (la mise au pas). N'ayant jamais milité dans la « Hitlerjugend » (HJ) pourtant obligatoire depuis le 2 janvier 1942, j'ignorais totalement la façon d'agir requise du jeune allemand du Reich que je devrais être. 

Le soir tombait. Nous avions, mes camarades d'infortunes et moi, été répartis dans des baraquements pour la nuit. Le camp du RAD de Strasbourg, comptait environ 215 hommes dont la plupart étaient arrivés d'Allemagne. A ma connaissance, aucun gradé n'est jamais sorti des rangs des alsaciens. Le lendemain matin vers 6 heures, réveil pour la réception de l'uniforme et des accessoires. Par vague de 20 hommes, nous eurent l'ordre de nous présenter au magasin d'habillement. Le préposé à la distribution ne se préoccupa nullement des questions de taille ou de longueur. Les affaires nous arrivaient jetées en vrac. Ce ne fut que plus tard, dans la chambrée, que des échanges purent avoir lieu !

Dans l'intention de briser notre résistance, les premiers jours furent très éprouvants. Une discipline de fer s'abattit sur notre pauvre jeunesse si peu habituée à ce traitement. L'utilité du service du travail tel qu'il nous fut présenté et vanté n'était qu'un leurre manifeste. Pendant toute la durée de mon séjour de presque 3 mois nous ne fûmes astreint à aucun travail d'utilité publique. Toute ces vacances forcées n'étaient uniquement pensées et conçues pour un formatage militaire, une initiation à la discipline et au maniement du fusil ... remplacé symboliquement par notre chère bêche. La vie au camp ressemblait strictement à une vie de caserne de la Wehrmacht que je connaîtrais bientôt. Les ordres étaient les mêmes, les têtes d'abrutis aussi !

L'inspection de la chambrée du soir tournait presque à chaque fois au psychodrame. Rien n'était jamais assez en ordre pour les allemands, ni les habits mal pliés sur le « Hockerbau » (rangement sur un escabeau), ni la propreté et le soin, ni la symétrie de la literie. Après avoir effectué plusieurs tours à petite foulée autour des baraquements à moitié nu et par une température en-dessous de zéro, nos chers formateurs nous firent exécuter des ordres grotesques, humiliants ou vexatoires comme : tout le monde sur les armoires, sous les lits, dans les gamelles, le tout en chantant une marche à la gloire du Reich. Pour les repas du midi et du soir, nous nous rendions dans le grand réfectoire. Avant de commencer le repas en guise de prière, un Arbeitsmann nous récitait une maxime à la gloire du grand Reich et de son Führer. Nous étions censés nous sentir très fiers d'appartenir au peuple allemand !

Le commandant du camp était un ancien officier mutilé de la Première Guerre. Il habitait avec sa femme, avenue de la Forêt-Noire à Strasbourg. A plusieurs reprises, il me demanda de faire des courses pour sa femme et de m'occuper de sa chambre au camp. Ce fut un privilège non négligeable. Équipé d'un vélo, je pouvais m'absenter pendant des demi-journées. Un jour, une délégation SS visita notre camp pour une opération de séduction. Ils ne ménagèrent pas leurs efforts pour vanter les avantages magnifiques pour un engagement dans leur sinistre formation de Waffen SS. Un officier nous harangua pendant plus d'une heure. Il louait la fierté de servir dans leurs rangs. A la fin du discours, j'ai encore en mémoire notre revue des troupes. Alors que j'étais figé dans un garde à vous impeccable, l'officier s'arrêta devant moi et me dit : « Sie wären ein richtiger SS Mann » (Vous seriez un vrai SS). Il faisait allusion à ma constitution physique idéale pour cette unité. Les Waffen SS recrutaient seulement des hommes de plus de 1m70, de bonne santé, et sans défaut physique. Apparemment, j'avais le profil. Je ne répondis tout en pensant en mon for intérieur : « Kanch mech anm Anrch lacke » (Tu peux me lécher le cul !!!). Plus tard, une autre délégation passa pour une nouvelle tentative de recrutement. J'en ai eu vent et me suis dérobé discrètement direction la chambre du chef où je trouva tout à coup l'envie de faire le ménage. Au retour, le commandant me questionna sur mon absence mais sans ajouter la moindre remarque. Je suppose qu'il avait compris...

Le premier dimanche de mon séjour distrayant, mes parents me rendirent une visite bienvenue accompagnés des quelques copines du village. C'est en train à partir de Goxwiller que les visiteurs devaient se rendre à Strasbourg, une partie du trajet se faisant en tram et le reste à pied. Une vraie expédition !

Le passage dans le RAD n'était pas neutre. Durant la cérémonie de fin de formation bien orchestrée, les jeunes alsaciens durent prêter serment au Führer. L'objectif était de nous pousser officiellement à reconnaître notre d'appartenance à l'Allemagne Nationale Socialiste. A cette occasion, on nous a demandé pour la première fois de faire allégeance. Il y en aura d'autres. Pendant toute la durée de la cérémonie, par esprit d'opposition, je ne prononça une parole. Par ce geste, je voulu manifester ma désapprobation ... mais la finalité sera la même ! Je le découvrirais assez vite. Après presque 3 mois de service RAD, je fus libéré le 15 février 1944. Mais à ma grande stupéfaction, à la maison m'attendait déjà un ordre d'incorporation dans la Wehrmacht. A suivre ...

Défilé du RAD sur la Place Kléber  en 1942

Sources :