Le sieur François Xavier SAAS est prié de se présenter au tribunal de bailliage d'Obernai avant le 15 juin 1921 à neuf heures du matin, faute de quoi il sera procédé à sa déclaration de décès !

Voilà en quelques mots à quoi tient votre vie ! Si t'es pas mort, t'as intérêt à rappliquer. Quelle belle raison de démarrer une enquête plus de 100 ans après : mais où est donc passé Xavier ? Avons nous seulement un soupçon de chance ?

Le contexte 

C'est le peintre Aloïse ROSFELDER de Valff qui a requis une demande de déclaration de décès au sujet de son oncle Xavier. Il y a des biens a partager dont une maison à l'abandon, il faut régulariser la situation. Nous sommes en 1920 et Xavier a disparu depuis ... 1867. 53 années sont passées et l'on n'a aucune nouvelles de sa part. Xavier est né le 5 décembre 1840 et aurait maintenant 81 ans. L'article paru le 27 novembre dans le journal « l'Elsaesser » précise : « Nous ordonnons à toute personne ayant des informations sur la vie ou le trépas du défunt à faire une déclaration au tribunal ». C'est du tsac tsac à l'ancienne !

L'enquête

Si vous connaissez la bande dessinée « Où est Charlie ? », vous allez aimer : « Où est Xavier ? ». Commençons par étudier la biographie du concerné. Les registres de l'état-civil nous renseignent. François Xavier SAAS est né le 5 décembre 1840 à 4 heures de l'après-midi au 195 de la rue Principale, fils du laboureur François Antoine et d'Anne Marie VOEGEL plus âgée de quatre ans que son mari. Xavier est l'aîné. Suivent François Joseph, mort à 1 an, Anne Marie, Antoine, mort à 3 mois, Aloïse mort à 6 semaines, François Joseph dont on perd la trace et Guillaume, mort à 3 jours en 1950. En 1853, la détresse emporte aussi le père. Comme vous pouvez le constater l'ambiance n'est pas à la fête. Marie-Anne, la mère, était déjà mariée et veuve de Joseph ANDLAUER. De ce premier mariage, elle avait conçu deux enfants dont le garçon François Joseph qui est décédé à 2 mois. Décidément, les fils d'Anne Marie ont une tendance à disparaître rapidement. Seule sa première fille Catherine a survécu et encore ... elle va mourir en 1864 à 31 ans ! Anne Marie survivra à tous ses enfants. Elle décédera en 1875 à l'âge de 69 ans.

1846. La petite famille déménage au n°211 de la rue Principale. Les parents, la fille d'Anne Marie, Catherine, Xavier et Anne Marie sa soeur charnelle emménagent dans leur nouvelle maison que le père loue 35 francs par mois soit 115 euros actuels.

Maison n°211 au centre à droite sur cette photo de 1930

1956. Catherine ANDLAUER, la demi-soeur de Xavier, quitte la maison familiale, et se marie avec Maximilien HIRTZ. Elle décèdera 8 ans plus-tard. C'est son mari et Xavier qui se déplaceront pour faire la déclaration de décès à la mairie.

Signature de Maximilien HIRTZ et Xavier SAAS sur l'acte de décès de Catherine

1860. C'est le moment de remplir ses devoirs de citoyen. Xavier se présente au bureau de recrutement d'Obernai. Il est mesuré : 1mètre 59 ! C'est à son tour de puiser dans le sac de tirage contenant les numéros. Chopper un chiffre en dessous de 100 c'est l'armée, au-dessus c'est la réforme et la liberté. Xavier enfonce sa main dans le sac et retire un billet. Le préposé au recrutement déplie la feuille et ... c'est le 134. Ouf ! Xavier l'a échappé belle, ce soir c'est la fête !

1867. Xavier quitte Valff et disparaît ...

Recensement de 1866. L'année suivante Xavier disparaîtra ...

1871. Anne Marie est toujours recensée au n°211. Elle habite au rez-de-chaussée. Elle décédera 4 ans plus tard.

L'investigation

Un des instruments de recherche à notre disposition en ce XXIe siècle est le site www.familysearch.org. Je tape Xavier SAAS dans la rubrique dédiée et ... bingo ! Xavier s'était fait la malle ... aux États-Unis d'Amérique. L'Affaire est pliée en 5 minutes !

Nous apprenons que Xavier a embarqué sur le navire William Penn au port du Havre via Londres et est arrivé à New-York le 22 novembre 1867. Le navire à vapeur à vis de 7500 tonnes de chargement William Penn avait été lancé le 10 juillet 1865 par la London & New-York Steamship Line. La société fera faillite en 1875 à la suite du naufrage de leur deuxième navire, le SS European. Le capitaine du SS William Penn s'appelle Edwin BILLINGE. Le prix des billets pour la traversée s'élevait à 110 dollars pour la première classe, 75 pour la seconde et 30 pour la troisième. 30 dollars en 1867 avaient un équivalent de valeur en euros actuels d'environ 445 euros. C'est sûrement au fond de cale en troisième classe que Xavier a fait la traversée en compagnie des 269 passagers embarqués ce jour. Xavier s'est lié d'amitié avec l'alsacien Nephtali LEVI accompagné de sa femme Fanny et de leur bébé nouveau-né. Ils iront se faire inscrire ensemble au bureau d'enregistrement de la compagnie.

Une faible piste nous dirige dans l'Ohio où d'autres SAAS de Valff ont émigré et ont pris racine. Malheureusement la nébuleuse des archives nous oblige à abandonner ici les recherches. Nous n'en saurons pas plus pour le moment. Mais peut-être dans 100 ans ? Et voilà comment, en 2020, on peut répondre à l'injonction du tribunal d'Obernai de 1920 et dire « Moi je sais ! ».

Sources :

  • Archives communales
  • Adeloch et Ellenberg
  • Familysearch
  • Généanet
  • Recherches de Mike FREYDER

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.