Frankfort sur l'Oder bombardé

L'armée allemande recule inexorablement. Le jeune incorporé de force, André VOEGEL, se retrouve maintenant en territoire allemand. La déroute est proche, mais le risque d'être tué si près de la fin de la guerre reste omniprésent.

Combats sur le sol allemand : Francfort sur l'Oder

Inexorablement l'armée rouge avançait tel un rouleau compresseur et harcelait la Wehrmacht qui reculait jusqu'à ses propres frontières. C'est ainsi que je me retrouvais un jour à Francfort sur l'Oder, ville allemande située à la frontière polonaise où notre unité en formation prit ses quartiers dans une vieille caserne. Quelle ne fût pas notre surprise en occupant nos chambres, d'être envahis de la tête aux pieds par une invasion de puces. Des milliers et des milliers d'insectes parasites infectèrent nos habits. On ne se fit pas prier pour évacuer les lieux ! Moi, qui m'étais tellement réjouis de dormir enfin dans vrai un lit !

Notre compagnie de génie formée dans la journée, reçut la mission de transborder par bac, de la rive est à la rive ouest de l'Oder, des chars allemands coincés par les russes. Mes copains, Robert Garré et Alphonse Repp étaient de la partie. Il faisait froid ce matin là. Nous fîmes plusieurs allers, retours, ramenant à chaque fois un char avec son équipage accompagné de fantassins.

Au cours d'un abordage coté ouest, mon copain Robert dérapa sur la glace, tomba par terre sur la tête et ne bougea plus. Affolé, je lui baffais fébrilement les joues tout en l'invectivant, mais rien n'y fait. Robert ne donnait plus signe de vie. Dans un état comateux, il fut transporté dans l'hôpital militaire de la ville. Alphonse et moi étions affligés. Après la guerre, Robert m'a avoué que son état comateux n'était qu'une mise en scène qui lui avait traversé la tête après sa chute. Il en avait assez de cette guerre. Alors qu'il entendait tout ce qui se disait autour de lui, nous, nous faisions du mouron et on pensait l'avoir perdu ! Il s'en est tiré comme ça !

Après cet incident, nous fîmes encore un ou deux allers et retours, lorsque subitement, une mitrailleuse russe nous arrosa copieusement. Pendant la nuit, nous avons évacué les lieux pour échapper à un encerclement.

A Reichenbach, près de Gôrlitz, l'armée soviétique progressait rapidement sur le sol allemand et occupa très vite la petite ville de Reichenbach. L'OKW allemand voulait encore réagir, malgré le peu de moyens qui lui restait et le moral au plus bas des troupes. Nous reçûmes l'ordre de reprendre la ville, ce qui nous réussi facilement, car l'armée russe avait quitté les lieux juste avant notre attaque. L'avance rapide des russes ne permit pas à la population de fuir la région. Les caves des villes étaient bondées de civils, surtout des femmes et des enfants.

Ces pauvres gens pensaient être délivrés du traumatisme de l'occupation russe. Malheureusement, cette délivrance devait être de courte durée. La population réfugiée dans les caves avait subi de cruels sévices. Pas une femme, pas une fille n'avait échappé au viol. J'ai vu dans un petit jardin devant une grande maison , une femme complètement nue, morte, gisant sur le gazon, avec une bûche de bois plantée dans sa partie intime. C'était terrible à voir, révoltant ! Notre peur de nous retrouver prisonnier de ces monstres ne fit que croitre. Les témoignages qui nous parvenaient nous ont énormément affectés. Celui qui sème le vent récolte la tempête, les russes se vengeaient sur les allemandes des atrocités commis auparavant à leurs civils. La guerre et la haine avait transformé des pères, des époux, des fils, des croyants et des athés en monstres impitoyables et a révélé le plus noir de l'être humain. Les gens de Reichenbach avaient vécu l'enfer sur terre, vingt quatre heures plus tard, nous dûmes quitter la ville et laisser les femmes et les enfants à nouveau à leur triste sort !

Il y a quelques jours encore, dans une maison que nous avons laissé derrière nous, une jeune fille s'était glissée de nuit sous les draps d'un de mes compagnons ... pour trouver un peu de tendresse et d'amour. 

Refus d'exécuter un ordre

Un groupe d'une vingtaine de personnes dont je fis partie, ont eu pour mission de déloger l'ennemi dans un pâté de maison d'une petite ville allemande. Cette position stratégique permettait aux russes de contrôler le carrefour et les rues. En plein jour, par une rue latérale nous avons progressé à la file indienne pour atteindre une maison faisant angle d'un carrefour. Nous avons observé que la maison voisine était occupée par des soldats. A travers les fenêtres ouvertes se devinait le va et vient des soldats. Les deux maisons étaient distantes entre-elles d'une trentaine de mètres environ mais séparées d'un jardin. L'officier commandant notre groupe, donna alors l'ordre d'attaquer au corps à corps.

C'est à cette occasion, et pour la première fois, que j'ai vu des soldats allemands refuser d'exécuter l'ordre d'un supérieur. Se sentant en mauvaise posture et surpris, il n'insista pas ! Attaquer en plein jour sans aucun couvert était totalement suicidaire, une vraie folie ! Il aurait fallu l'appui d'un char ou d'une arme lourde. L'officier accepta donc nos arguments et demanda l'appui nécessaire. Il donna néanmoins l'ordre de démolir la maison avec une fusée anti-char. Notre tireur s'installa prudemment à une fenêtre en face de la maison visée. Flanqué à côté de lui, j'attendis fébrilement le tir... lorsqu'un puissant jet de flammes sortit de l'arrière de l'engin et me projeta au sol. Vérifiant si toutes les parties de mon corps étaient encore en place, j'ai constaté avec soulagement que je n'était pas blessé. La fusée n'a même pas atteint sa cible pourtant immense, et alla s'écraser, sans exploser au milieu du jardin. Quelque minutes plus tard, nous reçûmes l'appui d'une batterie antiaérienne automotrice. L'engin contourna notre maison et à l'aide de ses quatre canons, ouvrit le feu pendant que nous lancions l'assaut. C'était inutile ! L'ennemi avait quitté sa position et la ville s'était vidée de ses occupants. Seuls sont restés quelques blessés et quelques tireurs isolés.

Poursuivant notre avancée, nous avons progressé jusqu'à une grande artère, où nous avons trouvé un soldat russe grièvement blessé. Il était assis sur les marches d'une entrée de maison. Dès qu'il nous vit, il se mit à prendre peur et nous implora de l'épargner. Nous reçurent l'ordre de continuer notre chemin. Un sous-officier resta près de lui. A peine partis, retentit un coup de pistolet, personne ne se retourna. Le pauvre blessé a été achevé. On s'est consolé en pensant que maintenant il ne souffrait plus ! C'est au cours de cette opération que je perdis un ami allemand, plus âgé que moi. Il était communiste, originaire de Chemnitz. Il s'était souvent confié à moi et détestait farouchement les nazis. Au travers d'un soupirail, un tireur isolé avait réussi à l'atteindre au ventre, et un peu plus tard, il a succombé à sa blessure.

En continuant notre progression, nous avons atteint un important carrefour de la ville. Au milieu se trouvait une pièce d'artillerie russe positionnée pour le tir. Après inspection du canon et au vu des douilles vides éparpillées tout autour, nous avons déduis qu'il venait de servir récemment. Etant du génie, nous n'y connaissions rien en canons ! L'un de nous ne put s'empêcher de tirer sur une espèce de corde de l'engin. Aussitôt, à notre grande stupeur, un coup de canon déchira le silence ! Nous étions tous pétrifiés de ce qui venait de se produire. Heureusement qu'aucun de nous ne se trouvait devant la sortie du canon !

La nuit venue, nous avons quitté cette ville fantôme pour continuer tristement notre débâcle.

A suivre ...

Source : Mémoires d'André VOEGEL

Récit complet des mémoire du malgré-nous André VOEGEL :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.