Glorieuses Pâques, « D'Alsace ils sont partis vers la France chérie », 1915

La tradition est la transmission, par voie orale ou écrite, de connaissances, de souvenirs, de croyances, de coutumes et de pratiques perpétrées de générations en générations. Les traditions relatives à la religion sont des témoignages différents, mais complémentaires à ceux transmis par les textes sacrés et les écritures saintes. J'ai pensé qu'il serait intéressant de transmettre aux générations futures l'ensemble de ces connaissances, afin de sauvegarder le patrimoine culturel régional. Les témoignages qui suivent ne se veulent pas exhaustifs pour toute la province d'Alsace, chaque village ayant ses propres spécificités, mais ils reflètent assez fidèlement l'ensemble des traditions régionales. Souvenirs de la tradition de Pâques [en savoir plus sur les origines].

Le Dimanche des rameaux

Le dimanche des rameaux, avec sa procession des palmes, est toujours célébré le dimanche avant Pâques. Son origine est orientale. En effet au IVe siècle, les pèlerins se retrouvaient ce jour-là au Mont des Oliviers, avant de se rendre en procession à Jérusalem, pour symboliser l'entrée triomphale de Jésus dans la ville sainte, 6 jours avant Pâques. Avant la guerre, la bénédiction des rameaux se faisait à Valff dans la grande église. Plus tard elle se fit dans la petite église, avec procession vers l'église St Blaise. Chaque participant à la procession porte son rameau béni, en souvenir de ceux que les juifs agitaient pour manifester leur allégresse au passage de notre Seigneur à Jérusalem. Dans chaque famille on conserve précieusement le rameau béni. On le fixe en principe en travers du crucifix accroché dans chaque maison, jusqu'à l'année suivante. La coutume veut que ce rameau protège la maison contre toutes les calamités.

Enfant, je me souviens avoir plusieurs fois rapporté un rameau à une famille de notre connaissance, qui me gratifiait à chaque fois d'une pièce de monnaie. Le Jeudi Saint était le jour du dernier repas que le Seigneur prit avec les siens, son repas d'adieux, le repas de la sainte cène. Au cours de la messe célébrée ce jour, les cloches sonnent pour la dernière fois pour rassembler les fidèles. Après le Gloria, les orgues et les clochettes se taisent et à leur place, on se servait d'une crécelle pour annoncer l'élévation de la messe. Ce « silence » dure jusqu'au Gloria de la messe, célébrée lors de la veillée pascale du Samedi Saint. A vrai dire la crécelle se présentait plutôt sous la forme d'un maillet en bois, articulé et actionné par un servant de messe. Dans notre langage dialectal, nous l'appelions le  « spackhammer » (littéralement marteau à lard). Allez savoir pourquoi !

Le Vendredi Saint

Dès les premiers siècles, les chrétiens débutaient ce jour là les quarante heures de silence, de jeûne et de prière, au terme desquelles on célébrait la Nuit Pascale (à l'origine l'unique liturgie pascale). C'est une journée qui respire la compassion, la tristesse, le deuil et l'accablement douloureux. Je pense que cet état d'esprit trouve son origine dans la religion judéo-chrétienne et plus précisément, dans le fait réel de la mort du Christ. Nos anciens prétendaient que le vendredi saint était toujours un jour de pluie, ce qui contribuait à le rendre encore plus lugubre. En Alsace, le vendredi saint est un jour chômé conformément à la loi locale. Pour les protestants, le vendredi saint est la plus importante fête de l'année religieuse. En compensation de cette journée chômée, les catholiques ont obtenu le 15 août, qui n'est pas fêté par les protestants.

Mais ce qui intéressaient le plus les jeunes, c'était la préparation du feu pascal. Ils passaient dans le village avec un attelage à chevaux, afin de ramasser le bois nécessaire au feu prévu le samedi matin. Dans le langage populaire de l'époque on brûlait le juif éternel ; en dialecte : « D'r ewig Jud verbranne ». Pour avertir du passage de la collecte de bois, les ramasseurs chantaient le poème suivant : « Rab-walle, Bangel-walle, Holz-Holz-Holz » (fagots de sarments, fagots de bois, bois - bois - bois)

On récoltait ainsi des masses importantes de bois. Les croix en bois du cimetière qui ne servaient plus, étaient brûlées en même temps. A cette époque encore, l'église accusait ouvertement les juifs d'être responsables de la mort du Christ. On ne se permettrait plus aujourd'hui, en cette période qualifiée d'oecuménique, de parler « de brûler le juif éternel ».

Le Samedi Saint

La liturgie du samedi saint était très longue et commençait très tôt le Matin, sans la présence des fidèles. Il n'y avait que le prêtre et quelques servants de messe. Le célébrant commençait la liturgie de la bénédiction du feu pascal qu'on avait allumé à coté de l'église. Un immense feu, qu'on pouvait voir de loin, car il faisait encore nuit. Après la bénédiction du cierge pascal et la bénédiction de l'eau baptismale qu'on portait solennellement dans les fonds baptismaux, la messe solennelle de la vigile pascale commençait. Pendant le Gloria on sonnait les cloches de Pâques revenues du ciel. L'eau bénite était mise à la disposition des fidèles dans une grande cuve en bois placée, à l'entrée de l'église. Toutes les familles s'approvisionnaient en eau bénite, soit à l'aide de bouteilles, soit de récipients plus importants. La bénédiction de l'eau ne se pratiquant qu'une fois dans l'année, il fallait en faire une provision suffisante. L'eau bénite servait à toutes les occasions, matin et soir pour faire le signe de croix, en cas de maladie des hommes et des bêtes, pour l'aspersion des semences, pour conjurer les mauvais sorts, pour bénir des objets, les maisons etc. De nos jours la liturgie de la semaine pascale est complètement changée.

Les fêtes de Pâques en Alsace : la quête des œufs dans un village, au profit de la délivrance du territoire

Le Dimanche de Pâques

Pâques est synonyme de Résurrection et les chrétiens célèbrent cette fête, comme le passage de la mort à la vie glorieuse et éternelle. C'est une des fêtes les plus importantes de l'année liturgique. C'est surtout une fête très appréciée par les enfants. Ce n'est qu'après la grande messe que les enfants ont le droit de chercher « le lièvre de Pâques ». La particularité de ce lièvre de Pâques, de tradition alsacienne, c'est qu'il pond des œufs ..., c'est curieux mais c'est ainsi. Pour chaque enfant, on prépare dans le jardin et dans l'herbe naissante du printemps, un nid contenant toute la confiserie pascale :

  • des lièvres aux longues oreilles de toutes dimensions
  • des œufs de Pâques en chocolat et autres
  • des moutons en biscuit surmontés d'un petit drapeau en papier multicolore
  • des œufs de poules colorés au marc de café, aux oignons et d'autres colorants naturels

Cette coutume ancestrale a toujours provoqué chez les enfants une profonde émotion et constituait un moment exaltant, lors de la recherche des cadeaux apportés par le lièvre de Pâques. Dans ma jeunesse on cherchait le lièvre même chez les amis et les membres de la famille plus lointaine. En entrant chez eux, on prononçait en dialecte, le salut pascal traditionnel : « Glückselig's Alléluia - hett der Giiller schon geleit ? » (Bienheureux - Alléluia - Est-ce que le coq a déjà pondu ?).

Dans ce cas précis c'est le coq qui avait pondu des œufs ! Mais allez donc savoir... la magie de Pâques opérant, tout devenait possible. Force est de constater que cette fête allie joyeusement des traditions et cérémonies chrétiennes, à des coutumes d'origine païenne, liées à la célébration du renouveau (dont l'œuf est le symbole). Pour les femmes et jeunes filles de mon époque, la messe du dimanche pascal était surtout l'occasion d'arborer leur nouvelle tenue de printemps (au dernier cri de la mode de Paris si possible). Même par temps exécrable, la tradition voulait qu'à partir de ce dimanche les hommes et les femmes ne portent plus leurs manteaux d'hiver.

Le Lundi de Pâques

Le lundi de Pâques était traditionnellement le jour des excursions avec les copains. En principe on visitait le Mont Ste-Odile ou le Haut Koenigsbourg. De bon matin on enfourchait le vélo, « rucksack au dos », direction Heiligenstein et Truttenhausen. A partir de là, on continuait à pied à travers la belle forêt de sapins des Vosges. Un sentier, tracé par les membres du club vosgien, nous conduisait sur la montagne de Ste Odile. Quelle magnificence de pouvoir respirer cet air pur printanier, fleurant bon le sapin et autres conifères. Avec un peu de chance, on rencontrait des filles avec lesquelles nous poursuivions notre chemin, tout en chantant des airs populaires. Pour le déplacement au Haut Koenigsbourg, nous prenions le train à Goxwiller, via Sélestat et La Vancelle, pour ensuite monter à pied jusqu'à la forteresse. La boisson et la nourriture de la journée étaient « tirées du sac ». Sur place on s'offrait une bière ou un panaché à la limonade. Ces journées particulières permettaient aussi aux amoureux de se rencontrer en douce, sans que les parents n'en sachent rien. C'est ce qu'on appelle, « l'amour volé », un temps d'amour bien exaltant ... 

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.