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Dans ses mémoires, André VOEGEL retrace son enfance et ses premières années à l'école. Récit d'un autre temps, près d'un siècle plus tard.

Dès l'âge de six ans, j'ai fréquenté l'école primaire de garçons du village, il n'existait pas encore d'école maternelle. Il y avait deux écoles, l'école des garçons et celle des filles, et deux classes par école. Dans le langage familier, on ne parlait jamais de classe mais de petite et de grande école de garçons ou de filles. L'enseignement était donné par des maîtres, à l'école de garçons, les soeurs enseignantes de la congrégation de la Divine Providence de Ribeauvillé enseignaient à l'école des filles. La mixité dans les classes était inconnue et je pense même pas tolérée. Elle fut introduite longtemps après la dernière guerre. On quittait l'école à l'âge de 14 ans pour les garçons, et 13 ans pour les filles. En 1938, cette mesure inégale fut abolie. L'instruction, commençait à 8 heures du matin jusqu'à 11 heures et de 13 heures à 16 heures, du lundi au samedi soir. La journée libre hebdomadaire étant le jeudi. Comme encore à l'heure actuelle, l'Alsace est sous concordat, contracté en 1801 par Louis Napoléon Bonaparte, Premier Consul, et le Saint Siège. L'enseignement religieux était non seulement donné à l'école par les curés, mais également par les enseignants.

De nos jours, l'enseignement religieux est toujours enseigné dans nos écoles primaires, mais les cours ne sont plus obligatoires pour les élèves et les enseignants dispensés des cours. Les deux juifs WEIL étaient les seuls à être dispensés des cours de religion chrétienne, mais participaient à l'enseignement des préceptes talmudiques à Barr ou à Obernai. L'instruction religieuse était curieusement donné en langue allemande, tandis que toutes les autres matières furent enseignées en français. J'ignore totalement la raison de cette particularité, qui n'était nullement choquante pour nous, au contraire cela nous permettait de passer d'une langue à l'autre sans difficulté. Pendant les récréations, il était interdit de parler le dialecte, mais cette interdiction était seulement respectée dans la mesure où le maître se trouvait à proximité.

A propos de la mixité à l'école, il est intéressant de s'y attarder un instant. A l'occasion des messes dominicales où toutes autres célébrations à l'église, la séparation des sexes était strictement respectée. En regardant de la nef vers l'autel, les hommes se trouvaient toujours à droite, les femmes et les filles à gauche. Les curés d'alors n'admettaient pas de chorale mixte à l'église. La tradition villageoise voulait également que pendant la période hivernale, les différentes associations donnent une représentation théâtrale. Jamais une femme ou une fille ne pouvait se produire en scène avec un partenaire du sexe opposé. Lorsque, après la dernière guerre, le football club a dérogé à cette règle, le curé fut scandalisé. Les rôles des femmes étaient joués par des hommes déguisés en femmes, ce qui provoquait parfois l'hilarité générale. Certains prêtres affichaient un comportement masochiste, parfois même vexatoire. Tel autre curé considérait les filles comme des « Dawi Gans », bêtes comme des oies. En ce qui me concerne, j'ai souvenance des premiers jours à l'école primaire. La première année d'écolage, la sortie des classes se faisait à 15 heures, une heure avant les autres. C'était la période d'initiation à l'école, puisque les classes maternelles n'existaient pas encore. Pour une raison dont je ne me rappelle plus, j'ai eu une punition, qui consistait à être retenu jusqu'à 16 heures. J'ai pleuré et me suis sauvé de l'école à l'occasion de la récréation pour rentrer chez moi. Manque de pot, un des deux maîtres a constaté la manoeuvre, m'a couru après et m'a rattrapé 50 mètres plus loin sur le trottoir. J'étais très malheureux ce jour là.

Cours d'histoire à l'école (© Ecomusée d'Alsace)

Ma biographie serait incomplète sans avoir parlé de mon séjour à St Nabor. Après ma première année d'écolage à Valff, j'ai quitté mes parents pour rejoindre ma Tante Marie à St Nabor. Tante Marie était la soeur de mon père et mariée à Joseph FISCHER, couple resté sans enfant. Oncle Joseph était employé à la carrière de St Nabor. D'après le plan de mes parents et de tante Marie, je devais rester chez eux et hériter plus tard leur patrimoine, mais le sort en décida autrement. Je fréquentais l'école de St Nabor et je m'y plaisais bien. Tante Marie était toujours aux petits soins, et avec oncle Joseph nous faisions souvent des randonnées dans la forêt de Ste Odile. Je me rappelle néanmoins que j'avais de petits problèmes de santé, pas d'une façon continue mais sporadiquement j'étais atteint de crises d'asthme qu'on guérissait avec du miel chauffé dans une cuillère. Malheureusement, tante Marie est décédée brusquement d'une pneumonie et j'ai dû rejoindre mes parents après une bonne année de séjour à St Nabor.

De l'école de Valff, certains noms de maîtres me viennent encore à l'esprit : POIREL, MUNSCH, GUGUMUS. C'est avec ce dernier que j'ai passé les quatre dernières années d'écolage, mais je n'ai pas toujours gardé de bons souvenirs. C'était un enseignant sévère à qui je dois mon respect pour la qualité et l'efficacité de son enseignement. C'était un homme très croyant, pratiquant, secrétaire de Mairie, organiste à l'église, animateur de la chorale, donc très occupé. Chaque matin, vers 7 heures, il y avait une célébration eucharistique pour les enfants de l'école et pratiquement tous les écoliers assistaient à cette cérémonie. Le maître assistait à cette cérémonie religieuse en tant qu'organiste. Pendant la dernière guerre son comportement était un peu énigmatique par rapport à l'occupant, mais il n'a pas été inquiété à la libération. En ce qui me concerne, je n'étais pas en odeur de sainteté, ni chez lui, ni chez le curé, mais ces comportements me laissaient complètement indifférent, au contraire. Mon père ne faisait malheureusement pas partie de la bourgeoisie du village. Il n'était ni au conseil municipal, ni chantre, ni pompier, ni membre de la société de musique municipale. Il était pratiquement considéré comme citoyen de deuxième classe. Pourtant, je n'étais pas traumatisé, j'avais d'autres copains qui étaient dans la même situation. De temps à autre, j'ai eu le sentiment de faire l'objet d'une petite injustice pour moi encore inexplicable à cette époque. Ce n'est qu'avec le recul du temps que j'ai pu m'expliquer ce qui était obscur à l'époque.

A suivre ...