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Le capitaine Haddock, grand ami de Tintin, est bien connu pour ses insultes loufoques comme le célèbre « espèce de zouave !». Cette dernière fait partie de son répertoire fleuri et éclectique. Mais en fait, qui étaient donc ces fameux zouaves ?

Les zouaves faisaient parties d'un corps de troupes d'infanteries coloniales françaises cantonné en Algérie. Souvent associés à l'image des guerres du second Empire, ils sont reconnaissables à leur uniforme singulier. Cette unité a existé de 1830 à 1962. Crée lors de la conquête de l'Algérie à partir des années 1830, l'unité est à l'origine composée essentiellement d'algériens tribaux d'où le nom. Au milieu du 19e siècle, elle est composée essentiellement d'appelés européens. Le régiment de zouaves est, avec les tirailleurs algériens, l'une des unités les plus décorées de l'armée française. C'est incorporé dans cette troupe que se battra André KORMANN. Il est soldat dans la 8e compagnie, 2e bataillon du 3e régiment. Sa carrière militaire prendra fin le 20 janvier 1855 en Turquie à l'hôpital de Daoud Pacha. Voici son histoire :

André voit le jour le 9 juin 1827 à Valff. Il est le troisième enfant de Joseph et Cécile KOENIG. Ses frères et soeurs s'appellent : François Joseph, Marie Anne, Florent, Catherine, François, Thérèse et Jean Pierre. La famille habite la maison au n°6 dans la rue Haute (numérotation au début 19e siècle). Tous les membres s'activent dans l'entreprise agricole. Les travaux agricoles ne laissent aucune place à l'inactivité. Les Kormann font parti des grandes familles du quartier. La ferme à côté de la leur appartient à Antoine KOENIG, l'oncle maternel. Les enfants des deux familles sont du même âge. Une enfance insouciante à jouer dans le Muhlbach ou autour du vieux château. André s'amuse à l'école avec des camarades avec qui il partagera, sans le savoir, le destin dans la mort ... Laissons les encore jouer un peu !

Voulez-vous faire d'avantage connaissance avec lui ? Grâce aux archives militaires nous découvrons un peu son physique : 1m61, visage ovale, front découvert, yeux gris, nez grand, bouche grande, menton rond, cheveux et sourcils châtains. Arrive l'âge de remplir son devoir militaire. Le 28 juillet 1848, il est incorporé au 37e de lignes comme remplacement au corps. Il est transféré au 3e zouaves le 24 février 1852. Il embarque le 21 mars 1852 à Toulon pour Philippeville près de Constantine. Quel changement ! Après n'avoir pratiquement jamais quitté son cher village, le voilà ballotté en pleine mer, direction l'Algérie. L'endroit est idyllique, le pays immense et majestueux. La population bigarrée est énigmatique, leur religion est bizarre et leur langue incompréhensible.

La caserne située non loin du bord de mer a pour nom Caserne de France. André ne se lasse pas du paysage. Par contre, la vie à la caserne laisse à désirer ! Discipline, corvées, punitions, brimades : le soldat zouave est réduit à l'état d'animal abruti. La discipline exagérée a conduit, dans le langage populaire, à l'expression familière « faire le zouave ! ». Tout un symbole. Et dire qu'André pensait que ses parents étaient trop exigeants. « Les recrues se comportent comme des jeunes filles », déclara un colonel. « On va arranger ça ! ».

Les groupes d'appelés sont constitués en tribus, instruit par un vieux chef zouave, de préférence intelligent et débrouillard. On leur apprends à porter la chachia en équilibre sur la nuque, à serrer et enrouler le turban, à se suffire à soi-même, à trouver de l'eau dans le désert, à chasser des oiseaux et des poissons avec rien, à manger tout ce qui se présente, à faire du fromage avec des pieds de boeuf et du gras double avec les entrailles, à obtenir avec autotité de l'habitant tout ce dont on a besoin, à faire la turlutine ou soupe de biscuit ! 

Le jeune André fait l'apprentissage de la guerre. Sous les ordres des généraux BOSQUET et MAC MAHON, il participera aux escarmouches contres les rebelles Kabyles. On en profitera pour leur voler leur bétail en chantant l'hymne des zouaves. « Hourra ! Hourra mon brave régiment, En avant ! En avant ! [ ] Les chacals sont ici. Les chacals, ces vaillants guerriers, ... ! ».

Arrive l'ordre de rejoindre l'Orient. Encore la mer ! Le 1er et 2e bataillon sous les ordres du commandant TABOURIECH embarque à Philippeville le 16 mai 1854 à bord du Panama pour débarquer le 26 à Gallipoli en Italie pour le camp de Boulahir. Puis c'est à pied avec tout le barda commandé par le capitaine JAVARY que la compagnie rejoint Varna en Bulgarie via Andrinople. Une petite ballade ludique de 1400 km ! A Varna, les soldats sont entassés dans des navires surchargés le 1er septembre. Quelle armada ! Quel spectacle ! André est subjugué. Ah ! si sa famille pouvait voir ça : 15 vaisseaux dont 3 à vapeur, 11 frégates et 14 corvettes à vapeur, 5 bateaux de transports, 49 bâtiments de commerce tous français, sans compter les navires anglais et turcs. Il est loin le temps où il faisait flotter des bouts de bois au gré de l'eau de la Kirneck !

Après Varna, le 3e Régiment de zouaves embarque le 14 à Old Fort sur les navires Friedland et Marengo direction Sébastopol. Déjà le choléra et le typhus ont commencé leur œuvre de mort. Le reste des troupes françaises se composent de 28 000 hommes, 1437 chevaux, 68 canons. Toute la fine fleur de l'armée française est présente. Le 14 septembre tout ce beau monde est débarqué à Eupatoria en Crimée près de la rivière Alma. Le bruit court que les Russes auraient sabordé leur flotte dans la baie devant Sébastopol. Ils sont cuits ! Nous serons rentrés avant Noël ...

Le Friedland

Le 20 septembre, l'armée française avance en direction de la rivière Alma derrière laquelle 40 000 Russes se sont retranchés. Les zouaves traversent la rivière avec de l'eau jusqu'aux épaules tenant à bout de bras leurs fusils et leurs cartouchières. Ils bondissent de l'eau s'accrochant des pieds et des mains aux ronces, à la moindre aspérité du terrain, se soulèvent et se poussent les uns les autres en longues grappes humaines. En quelques minutes, les larges culottes rouges inondent le plateau. A 11h00, la bataille s'engage avec une telle violence que le commandant en chef s'exclamera plus tard : « Les zouaves se sont fait admirer des deux armées ; ce sont les premiers soldats du monde, les braves chacals ! ». Un auteur qualifiera l'attaque de l'ouragan zouave. Après la bataille et la victoire, le général SAINT-ARNAUD se découvrit devant les vainqueurs en leur criant « Merci, zouaves ! ».

Cette bataille fut immortalisée par la construction à partir de 1854 du pont sur la Seine à Paris qui porte le nom de la fameuse rivière Alma. Une statue de zouave en gardait un pilier. Chacune des deux piles était décorée des deux côtés d'une statue des quatre régiments ayant combattu en Crimée : un zouave, un grenadier, un chasseur à pied et un artilleur.

Le 5 novembre, les Russes attaquent par surprise le camp des Anglais. Les zouaves se portent immédiatement à leur secours. Baïonnettes en avant et à coups de crosses, ils repoussent les Russes dans un ravin auquel la boucherie et l'amoncellement des morts et des blessés donnera le surnom de « ravin de l'abattoir ». Puis vint l'hiver rigoureux 1854-1855. Pendant la mise en place des travaux du siège, les soldats doivent fréquemment lâcher pelle et pioche pour la baïonnette. Les embuscades de part et d'autres sont nombreuses, les pertes sanglantes.

Brutalement André est pris de malaise. Il est transféré d'urgence à l'hôpital militaire de Douad Pacha près de Constantinople. En parlant de Constantinople, l'auteur Jean Marie DEGUIGNET dans « Mémoires d'un paysan breton » écrit : « En débarquant à Constantinople, je fus bien surpris en voyant une ville d'un aspect extérieur si beau, répondre si peu à l'intérieur à cet aspect séduisant. Nous traversâmes la ville : des ruelles étroites, tortueuses, pleines d'ordures où les chiens se disputaient des morceaux de charognes ; des maisons brûlées et non abandonnées par leurs habitants qui y couchaient parmi les décombres ; des femmes dont la figure était couverte d'un voile épais, mais dont le reste du corps était presque nu. Nous marchâmes deux heures dans ces ruelles infectées pour arriver aux faubourgs, auprès desquels se trouvaient partout des cimetières. Ensuite, nous traversâmes des terres incultes et couvertes de gros chardons pour gagner les hôpitaux et les ambulances au dessus de cette jolie ville impériale. Il y avait là, sur un plateau immense, des baraquements à perte de vue, portant tous des noms baroques : Douad Pacha, Malplaquet, Ramis Tchiflick, etc ... ».

Le samedi 20 janvier 1855 à 13h00, le sergent Hubert François THIMOTEE, André MARX et le soldat Félix TESSIER, tous trois zouaves dans la compagnie d'André comparurent devant l'officier d'armement DARIDEL pour certifier que le nommé André KORMANN, matricule 2364, zouave à la 8e compagnie du 2e bataillon du 3e Régiment de zouaves est mort à une heure de l'après midi des suites d'une anémie générale. André n'aura pas supporté les pressions et les conditions de cette guerre maudite. Il repose aujourd'hui dans une terre étrangère avec ses camarades d'infortune. Parmi eux, des enfants de Valff. Vous en apprendrez plus sur leur vie dans la suite de cette triste série dédiée à la guerre de Crimée.

Le 3e Régiment de zouaves passe sur la place Gutenberg le 30 juillet 1870

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