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Le conflit est mondial, les batailles nombreuses et meurtrières, les restrictions de plus en plus nombreuses dans cette année 1918. La population a faim et il faudra attendre la fin de l'année pour voir l'Alsace et la Lorraine rebasculer en France.

En mars 1918 l'armée aménage un certain nombre de terrains d'aviation [en savoir plus : L'aérodrome du Polygone] et notamment aux abords du village de Stotzheim. Ce terrain se trouve en plein champs sur une superficie de 250 acker (50 ha) Les exploitants sont dédommagés à raison de 6 Marks l'are. D'énormes baraquements abritent les avions qui prennent l'air tous les jours. Un des pilotes officiers voulant se rendre à un rendez-vous galant avec l'une des filles du contrôleur fiscal de Valff  fait un atterrissage hasardeux sur la Hagelmatt au moment où des troupes hongroises sont en plein exercice. Cet atterrissage malencontreux coûtera la vie à deux soldats hongrois. Furieux, leurs compatriotes veulent lyncher le pilote et ce n'est que grâce à l'intervention de leurs officiers que le pilote allemand peut sauver sa peau [en savoir plus : Des fous volants dans le ciel de Valff].

Copyright « Ailes Historiques du Rhin »

Au courant du mois d'août, un avion allemand s'écrase dans le Bruch entre Zellwiller et Kertzfeld. Le gendarme allemand SCHLAMMSTETT de la gendarmerie d'Obernai alerté du fait se rend sur les lieux. C'est au cours de cette investigation que SCHLAMMSTETT est assassiné. Voulant contrôler en cours de route un abri de bergers qui, il ne le sait pas encore, héberge des déserteurs allemands et des vanniers, il est tué d'une dizaine de coups de poignards dans le dos. SCHLAMMSTETT était un modèle dans l'exercice scrupuleux de ses fonctions. Venu d'Allemagne, il exerçait son métier avec beaucoup trop de rigueur et d'autorité, ce qui n'a pas été apprécié par la population. Personne ne versera de larme. 

De plus en plus les citadins trouvent dans les villages des vivres indispensables. Les rations s'amenuisent journellement, la population souffre de faim et de privations, la situation devient intenable. La marché noir est florissant, les prix flambent, exemples :

Il a été vendu dans le village des oisons de 10 jours pour 30 Mark la pièce !

Les nouvelles du front sont catastrophiques pour l'armée allemande. Partout, les troupes alliées, françaises, anglaises et américaines sont en progression. La fin de la guerre approche. Le 15 août 1918 un incendie détruit 3 maisons d'habitation dans la rue des Flaques. Le sinistre s'est produit par inadvertance, un propriétaire aurait stocké des cendres chaudes dans un récipient en bois. Les trois maisons n'ont jamais été reconstruites.

Au mois de septembre, cantonnement massif dans tous les villages par des troupes hongroises. D'un teint basané, d'origine gitane, ces soldats n'inspirent pas confiance. Ils ont faim, dérobent tout ce qui leur tombe sous la main, les fruits des arbres et le tabac à demi séché dans les séchoirs, une vraie cohorte de voleurs ! Le haut commandement militaire allemand se désintéresse totalement du sort de ces soldats. Les troupes hongroises avaient une particularité: leurs attelages étaient tirés par des boeufs à très longues cornes ce qui ne s'était jamais vu ici. En principe, les armées utilisaient des chevaux de trait pour transporter leur matériel militaire.

Croisement de la rue Principale et la rue Meyer, maison n°254

L'été est très chaud et la sécheresse s'intensifie. Début novembre, les troupes hongroises qui participaient aux combats des Vosges commencent à se retirer vers l'est en de longues et interminables colonnes. Elles traversent le Rhin à Rhinau et se dirigent maintenant vers leur pays d'origine. Dans la nuit du 8 au 9 octobre se déclare un incendie monstre au niveau du n°208 de la rue Principale. Les hongrois cantonnés encore en masse dans le village évacuent, en toute hâte, leur paquetage et leur matériel militaire sur les prés à l'extérieur du village. Le départ du sinistre a été vraissemblablement d'origine militaire. On déplore la destruction de 4 maisons d'habitation et de 8 granges. L'incendie a été tellement important que l'on a du faire appel aux pompiers de Strasbourg. Certains bâtiments n'ont jamais été reconstruits. A l'occasion de cet incendie, quatre hommes de troupe ont malheureusement laissé leur vie. Le premier a été électrocuté pendant l'intervention de l'extinction du feu, tandis que les corps de trois autres victimes ont été retrouvés carbonisés pendant les travaux de déblayage. Ces derniers, d'après le journal, ont été surpris pendant leur sommeil [en savoir plus : Faits divers insolites de 1914 à 1924].

Extrait du journal  "Neueste Zeitung" du 12 octobre 1914

Le 3 novembre, dans le port allemand de Kiel, les marins se mutinent et forment des conseils révolutionnaires, soldats, ouvriers et paysans. Dans la nuit du 9 au 10 novembre, une délégation de marins de Kiel arrive à Strasbourg. Les factieux désarment la garde de la gare puis celle du gouvernement militaire, se rendant maîtres de l'Hôtel de Ville et improvisent sur le champ un conseil de soldats « Soldatenrath ». Deux porte-paroles de ce conseil font le tour des casernes, fanions rouges à la main, et obtiennent sans peine le ralliement de la garnison. Le Statthalter SCHWANDER et le Secrétaire d'Etat HAUSS, fraichement nommés par Berlin, sont sommés de renoncer à leur mandat. Dans la nuit même, le Député socialiste Jacques PEIROTES se proclame maire de Strasbourg. Des patrouilles militaires rebelles parcourent les rues de la ville et arrachent aux gradés qui croisent leur route, les épaulettes et les insignes de leurs uniformes.

Statthalter d'Alsace-Lorraine Karl VON WEDEL (1907-1914)

Mardi 11 novembre 1918, l'armistice est signée à 5h00 du matin dans la forêt de Compiègne, il prend effet six heures plus tard. A 11h00 le cessez-le feu est proclammé, c'est terminé, c'était le 1561e jour de guerre ! 

En 1917, des marins mutins de la « Kriegsmarine » de Kiel et parmi eux, 16 000 Alsaciens-Lorrains, soldats fatigués de la guerre et des militants de l'internationale ouvrière déclenchent le 5 novembre un mouvement de rébellion pour forcer Guillaume II à abdiquer. L'Alsace-Lorraine est proclamée, à son insu, « République des soviets » et le drapeau rouge flotte sur la cathédrale de Strasbourg !

Défilé des soldats français devant la cathédrale de Strasbourg le 22 novembre 1918

Le 21 novembre, le drapeau rouge est remplacé par le drapeau tricolore. Le conseil révolutionnaire des soldats et ouvriers est dissous. Le 22 novembre, les troupes françaises entrent à Strasbourg à 10 heures précises, l'accueil est triomphal. Une clause de l'armistice du 11 novembre prévoit l'évacuation des troupes allemandes d'Alsace-Lorraine dans les quinze jours. L'occupation par l'ensemble des troupes alliées suit la marche de l'évacuation des prussiens. Les hongrois sont toujours en cantonnement dans le village. En signe de joie, ils décorent leurs uniformes de fleurs de chrysanthèmes qu'ils prélèvent sur les tombes du cimetière. Jour et nuit des colonnes interminables traversent le village et se dirigent vers le pont de Rhinau pour se rendre en Allemagne. Le 18 novembre les troupes françaises entrent à Barr, Saint Pierre et Epfig. Il en est de même à Valff où l'armée de libération, phanfare en tête, entre le 23 novembre sous les acclamations.

La population leur réserve un accueil triomphal ! L'ancien instituteur Thiebault HILSZ qui a juré de ne mourir qu'après avoir vu les troupes françaises passer sous sa fenêtre jubile en admirant 16 cavaliers venant d'Obernai défiler dans la rue Principale, clairon en tête. Il mourra 31 jours plus-tard à 96 ans [en savoir plus : Thiebault HILSZ, l'instituteur francophile]. Pour faire honneur aux libérateurs, on rassemble en toute hâte la musique municipale (ou ce qui en reste) devant la mairie. La population est en liesse. L'armée installe une popotte dans la cour de la maison des sœurs garde-malades (n°180 de la Rue Principale, en savoir plus : La maison des soeurs garde-malades) et la met à disposition gratuite pour les pauvres de la commune. Comme par enchantement le rationnement est terminé, les gens vivent « wie Gott in Frankreich » (comme Dieu en France.) Les français sont étonnés de l'hommage et du dévouement témoigné à l'encontre de la France par une population alsacienne pourtant allemande depuis près de 48 ans ! Les derniers soldats hongrois quittent enfin le village, les poules et les lapins peuvent enfin respirer !

Dessin de Hansi

Carte postale du front envoyé à la famille Aloïse VOEGEL

L'armée allemande a mobilisé 220 000 Alsaciens-Lorrains en août 1914. Jusqu'à l'armistice du 11 novembre 1918, 160 000 autres, jeunes recrues et hommes de la seconde réserve ont encore été appelés sous l'uniforme, ce qui porte le chiffre total à 380 000 Alsaciens-Lorrains mobilisés. Les morts au feu sont estimés à 50 000, les blessés à environ 150 000, les prisonniers Alsaciens-Lorrains à 29 000. Dans les rangs de l'armée française 17 650 Alsaciens-Lorrains ont combattu et ont été considérés comme déserteurs par les allemands. Les tribunaux martiaux allemands ont condamnés 4820 personnes (3385 Alsaciens et 1435 Lorrains) à 1 764 000 jours de réclusion de prison ou d'internement, soit un total de 4899 années de peine ! En ajoutant la somme des petites condamnations pour délits politiques, les peines infligées par les tribunaux militaires atteindraient les 8000 années en tout. Le bilan de sang des Européens morts sur les champs de bataille est de :

Le bilan global de la guerre de 1914-18 aura donc couté la vie à plus de 9 millions de personnes. Dans ce sinistre conflit, Valff déplore 16 victimes tombées sur différents champs de bataille,  principalement sur le front russe. La population qui a beaucoup souffert des privations a vu le nombre de ses morts passer de 15 en 1916 ; à 22 en 1917 puis grimper à 40 en 1918.

Galerie de photographies envoyées par des soldats à leur famille à Valff

Les visages sont graves, les regards vides. C'était il y a un siècle...

Sources :

Autres épisodes :