Le conflit s'enlise et devient mondial. Localement, les temps sont durs pour la population qui vit au rythme des réquisitions, restrictions et rareté des denrées de base.

Au début de l'année 1915, le haut commandement français décide l'assaut de la plaine d'Alsace par les cols des Vosges. Les combats y font rage notamment au débouché de la vallée de Thann, autour de Cernay et dans la haute vallée de la Fecht autour de Munster. Les troupes françaises combattent sans succès. Au gré de ces affrontements se forment plusieurs points stratégiques qui deviennent tragiquement célèbres par l'âpreté des combats, des duels entre les troupes d'élite françaises et allemandes et par l'horreur du sang qui y est versé, c'est le Hartmannswillerkopf et le Linge. Les villages autour de Hartmannswillerkopf sont évacués. Dans le courant du mois de janvier 1915, les autorités allemandes décrètent :

  • Les boulangeries sont seulement ouvertes de 7 heures du matin à 19 heures du soir.
  • La vente du pain frais est interdite, il doit avoir au moins 24 heures.
  • Le pain devra dorénavant être composé de 60 % de farine de blé, 30 % de seigle et 10 %d'orge ou de farine de pommes de terre.
  • Il est interdit d'abattre les vaches de moins de sept ans d'âge. Le poids minimum d'un cochon ou d'un veau destiné à être abattu est fixé à 75 kg.
  • La vente de blé, d'orge ou d'avoine est interdite. Tous ces produits sont confisqués.
  • Tout commerce de farine est abrogé. Le prix de la farine est fixé à 52 mark les 100 kg pour les boulangers. La cuisson de pain de luxe est interdite, il n'y aura plus qu'une seule sorte de pain.

Les contrevenants seront punis d'une amende de 1500 Mark ou six mois de prison ferme.

Lutzelhouse en 1915 (Fond Tony, archives de Strasbourg)

Par ordonnance de police du maire ANDRES en date du 11 octobre 1915, en application des mesures prises par le commandant d'armée FALKENHAUSEN, la population de Valff est informée du comportement à respecter en cas de danger aérien. A l'approche d'avions ennemis, toute la population civile et militaire, à l'exception des militaires affectés à une unité de combat anti-aérienne devra pour la durée du danger se mettre à l'abri dans une maison d'habitation désignée. Le rassemblement de curieux, de badauds est strictement interdit.

L'hiver est rude, très froid et il y a beaucoup de neige. Au mois de mars 1915, la composition du pain est de nouveau modifiée : 10 % de farine de blé, 60 % de seigle et 30 % de farine de pommes de terre. Le pain est rationné à 1850 grammes par personne et par semaine pour les non agriculteurs. Les agriculteurs eux se suffisent à eux-mêmes, mais les autorités fixent la quantité de farine à 1680 grammes par personne et par semaine pour la fabrication de leur pain, ces derniers ne pouvant s'approvisionner chez le boulanger sont obligés de cuire leur pain eux-mêmes. Pendant tout le printemps, les villages connaissent des cantonnements massifs de troupes allemandes en provenance de Champagne. Les autorités allemandes réquisitionnent tous les métaux nobles pour alimenter l'industrie de guerre ; d'abord le cuivre, y compris celui des batteries de cuisine, puis le laiton, le zinc, le nickel et par la suite les cloches des églises qui ne revêtent par un intérêt artistique ou historique. Dans le cadre de cette opération, de nombreuses statues en bronze des monuments publics sont déboulonnées et expédiées à la ferraille.

Affiche du prix maximum autorisé pour les pains

Le 3 avril 1915, un incendie se déclara dans la propriété SAAS au n°225 rue principale. SAAS était distillateur et tonnelier. 28 Ohm de schnaps (1400 litres) furent la proie des flammes.  Le sinistre s'est déclaré la nuit, le chaudron avait débordé et pris feu. Depuis le début des hostilités, les autorités dénombrent à plusieurs reprises les stocks de blé, pommes de terre et  bétail. On calcule d'une façon précise les besoins pour la famille pour le bétail et pour les semences, le reste est réquisitionné.

Au mois de juin 1916, le sucre est rationné à 1 kg par personne et par mois. Depuis le début des hostilités les autorités allemandes ont proclamé 800 ordonnances. On réquisitionne les pneus des vélos à raison de 0,50 Mark la pièce. La ration de viande est fixée à partir du mois d'août 1916 à 150 grammes par tête et par semaine. Aux agriculteurs, on impose la tenue d'une comptabilité des récoltes de tous les produits agricoles avec indication des propres besoins prélevés sur le stock récolté. L'ensemble de l'excédent doit être livré à la coopérative communale. Le savon est un article rare et pratiquement introuvable. Dans le besoin, les gens inventent des solutions de rechange du « Ersatz ». Voici la recette pour fabriquer du savon :

  • 3 litres d'eau,
  • 500 grammes de soude,
  • de la résine de sapin pour 20 Pfennig,
  • de la pierre de savon pour 20 Pfennig,
  • 2 paquets de persil un paquet de poudre à savon,
  • 2 feuilles de cire,
  • 500 grammes de savon noir.
  • Laisser d'abord bouillir l'eau avec la soude et rajouter ensuite les autres ingrédients, laisser bouillir à feux doux pendant trois heures et couper les morceaux après refroidissement, et vous avez un savon impeccable.

Ordonnance de remettre à la gendarmerie toutes les chaussures de neige 

Fin août , début septembre 1916, la forêt produit de grosses quantité de noisettes mais interdiction de les cueillir pour son propre compte. Elles sont destinées à la fabrication d'huile. Aujourd'hui 8 septembre, nouvelle sonnerie des cloches pendant une demi-heure. On fête une victoire de l'armée allemande. La forteresse roumaine Tutrakan a été prise, 20 000 prisonniers, 2 généraux, 400 officiers et une centaine de pièces d'artillerie est le butin. Pratiquement tous les deux à trois jours se produit le même cérémonial de sonneries des cloches pour annoncer une victoire quelque part au front. Les autorités entretiennent par cette méthode le moral des troupes en réserve et la population.

Les vendanges en cet automne 1916 sont misérables. Le phylloxera a pratiquement anéanti toute la récolte. Les fruits sont tous réquisitionnés, impossibilité de produire du cidre. Dans la nuit du 25 septembre, vers 3h00 du matin, une patrouille de 15 avions français biplans à trois moteurs ( ? ) franchissent les Vosges pour s'introduire dans la plaine d'Alsace. Pour une raison inconnue l'un des avions fait un atterrissage forcé entre Valff et Zellwiller près du chemin dit « Viehweg ». Les deux pilotes sains et saufs ont immédiatement saboté l'avion en y mettant le feu. Les autorités militaires alertées se sont rendues sur place pour constater les faits. Les deux officiers français ont déjà pris le large en direction de Zellwiller. Ils seront faits prisonniers peu de temps après par les gendarmes de Barr. L'avion transportait une bombe de la grandeur d'une bouteille, qui a été récupérée par un civil. 

La ration de viande est fixée à 100 grammes par tête et par semaine, celle des pommes de terre à 750 grammes par jour. De grosses quantités de betteraves sont chargées dans les gares pour la fabrication de la marmelade.

Avion Caudron type G3. En 1916, il y avait 141 Caudron G3 en service. Ils étaient utilisés comme avion observateur de réglages de tirs d'artillerie et de reconnaissance. En octobre 1918, il n'en restait plus que 11

Vers Noël 1916, tous les cours d'eau débordent et inondent les villages. Une catastrophe en plein hiver, les caves sont inondées et les gens sont obligés d'évacuer tout ce qui s'y trouve. Début février 1917, cantonnement des troupes venues de Roumanie pour se reposer. Jour et nuit on entend le grondement des canons le long de la ligne des Vosges. Courant 1917, un important détachement de cavalerie cantonne dans le village commandé par un jeune lieutenant. Ce jeune officier deviendra plus tard le célèbre Generalfeldmarschall ROMMEL de l'Afrikakorps de la deuxième guerre. Il avait pris ses quartiers au n°60 de la rue Thomas chez la famille LUTZ. ROMMEL était connu comme étant un cavalier très doué. Les sorties journalières du lieutenant en compagnie de son aide de camp sur son cheval blanc étaient l'attraction du village. Après la guerre son aide de camp épousa une fille de Valff [en savoir plus : Il s'appelle comment l'officier qui loge chez toi ?]. Durant la deuxième guerre le fils LUTZ né en 1919 désertera pour ne pas être incorporé. 

La récolte des fruits s'annonce exceptionnellement bonne cette année. Les autorités confisquent tous les fruits des arbres au bord des routes et chemins vicinaux. Des wagons entiers transitent vers Strasbourg où ils resteront bloqués pendant des jours. Plus tard, on apprendra que les fruits ont pourri dans les wagons !

Le 9 septembre conseil de révision pour tous les hommes non agriculteur restant encore au village et âgés jusqu'à 60 ans. Les marchands juifs sont également concernés par cette mesure. Comme les années précédentes les vendanges sont mauvaises, les 50 litres de vin coûtent 150 Mark.

A suivre...

 

Sources :

  • Témoignages personnels
  • La peine des hommes
  • Archives de la ville de Strasbourg 

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Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.