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La Kirneck sous le soleil une fin d'après-midi en janvier 2018

Ce chapitre pourrait commencer comme un conte de fées. Il était une fois une jolie rivière appelée la Kirneck qui prenait sa source dans les Vosges, descendait une belle vallée bordée de sapins verts, traversait en plein centre une ville appelé Barr et le bourg de Gertwiller, s'infiltrait dans la vallée du Rhin à travers champs et prés, serpentait à travers un village de la plaine, Valff, alimentait les fossés défensifs d'une forteresse, et faisait mouvoir au passage plusieurs moulins pour se jeter enfin dans l'Andlau en aval de Valff. Dans ses eaux limpides une foule de truites et autres poissons se faufilaient entre une flore généreuse et faisaient le plaisir des amateurs de la gaule. Sur des lavoirs spécialement aménagés, des femmes s'adonnaient à laver le linge dans ses eaux limpides ; les enfants prenaient des bains bienfaisants en période de grandes chaleurs ; les paysans, tous les dimanches matins, faisaient la toilette bien méritée de leurs chevaux au milieu de la rivière, après une semaine de durs labeurs, et les bovins s'abreuvaient à la rentrée des pâturages.

Tout ce récit semble être hors du temps ou utopique, mais ça a vraiment existé, nos grands-pères et spécialement nos arrières grands-pères s'en souvenaient très bien encore vers la fin du siècle dernier. A l'avènement de la période d'industrialisation, cette situation s'est dégradée à partir du début du XXe siècle. A cette époque, la ville de Barr comptait encore une trentaine d'usines de tannage de cuir et de teintureries. Les méthodes de tannage ancestrales cédaient la place aux produits chimiques ; la faune et la flore furent complètement anéanties ; cette situation représentait une vraie calamité pour les villages traversés par la Kirneck.

Un rapport de 12 pages dactylographiées de la Chambre d'Agriculture du mois d'octobre 1931, concernant la pollution de la Kirneck, est particulièrement significatif. Nous y relevons les points suivants : Les habitants des communes riveraines de la Kirneck en aval de Barr se plaignent depuis de nombreuses années. La question est devenue de grande actualité lorsque se sont déclarés dans la commune de Valff de nombreux cas de fièvre charbonneuse (Milzbrand), provenant d'une infection des eaux par les déchets de tannerie. Les usines de Barr traitent les peaux d'animaux atteints par cette maladie. Les déchets qui s'accumulent au fond de la rivière sentent très mauvais et subissent une fermentation ammoniacale. Les odeurs nauséabondes et pestilentielles sont telles qu'en été dans les maisons situées sur le bord on ne peut pas ouvrir les fenêtres. C'est une véritable calamité publique. Il n'existe plus un seul poisson dans la rivière, toute la vie animale ou végétale a disparu. D'après les dires des riverains, l'eau est parfois tellement caustique qu'on ressent une sensation de brûlure en y plongeant la main. Le rapport conclut que de très grands dommages moraux et matériels sont causés aux agriculteurs et habitants de ces communes.

Par ordre du Préfet en date du 17 septembre 1932, une commission mixte chargée d'étudier les moyens appropriés pour remédier à la pollution des eaux et à l'envasement du lit de la Kimeck se réunit à la mairie de Barr le jeudi 22 septembre 1932. Pas de résultat, aucune suite positive. Sur plainte d'usagers de la Kirneck à Valff et à Bourgheim au sujet de la pollution des eaux par des événements industriels imputés à des usines de Barr, le Préfet réunit une nouvelle commission le 24 juin 1938 à la mairie de Barr. Même résultat.

Au cours d'une réunion tenue à la Préfecture de Strasbourg le 8 octobre 1954 à laquelle assistait le maire de Valff, la question de la pollution fut de nouveau à l'ordre du jour. Le maire de Barr, DEGERMANN, fait connaître que la ville de Barr envisage d'exécuter un projet de canalisation avec une st-tion d'épuration. Le Dr. GILMANN, Conseiller Général d'Obernai, suggère que pour mettre fin aux inconvénients qui ne seront jamais complètement supprimés, l'on envisage plutôt la déviation de la Kirneck en bordure des localités de Bourgheim et de Valff, où existe d'ailleurs un ancien lit. Les maires de Bourgheim et de Valff se rallient à cette proposition et demandent à cet effet le concours du service du Génie Rural. Résultat : zéro.

Au mois de novembre 1961, le maire de Valff intervient de nouveau auprès du Préfet au sujet des inconvénients que présente pour la commune la pollution des eaux et l'envasement progressif de ce cours d'eau. Le Préfet CUTTOLI lui répond par lettre du 9 novembre 1961 que ce problème ne pourra trouver une solution satisfaisante que lorsque la station d'épuration du réseau d'assainissement pour la ville de Barr sera en état de fonctionner. Le financement de ce projet est assuré et les opérations d'adjudication sont en cours, de sorte que la construction proprement dite doit pouvoir débuter d'ici peu de temps. Résultat : rien.

En lisant tout ce qui précède, le lecteur comprendra mieux les décisions de la collectivité locale en 1967 de supprimer le bras de la Kimeck traversant le village et de doter Valff d'un réseau d'assainissement moderne. Ce n'est qu'en 1983 que la solution définitive entre en vigueur par une station d'épuration intercommunale regroupant une quinzaine de communes. Cette station implantée entre Valff et Westhouse a été construite par un syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM) dont André VOEGEL a assumé la présidence de nombreuses années.

Il fallut plus de 50 ans après le premier rapport pour donner satisfaction à la population et pour supprimer définitivement la pollution de la Kirneck et de l'Andlau.

La Kirneck polluée (DNA)

Depuis, la Kirneck a subit d'autres pollutions comme en 2000 du côté de Bourgheim ou encore en juin 2015 à Barr.