
- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Valff étant un village agricole, voici un petit florilège de faits-divers qui ont pour points communs la charrette.
Définition du Petit Robert : Charrette, nom fem. voiture à deux roues, à ridelles, servant à transporter des fardeaux. Pour commencer, voici quelques exemples de « charrettes » locales « D'junge konme es charrettel » ou dans la « KenderKütsch » familièrement landau d'enfant.
Moins drôle, les accidents de charrettes ! Expression alsacienne : « Er esch usem charretel' keit » (se dit d'une personne un peu dérangée, « tombée du landau » 😋).
Roue de charrette contre fémur
Juin 1836. À Valff, un grave accident bouleversa la vie de Florent WUCHER, agriculteur du village. Ce jour-là, alors qu’il marchait entre deux chevaux attelés à une carriole transportant une lourde cuve d’eau destinée à l’arrosage des plants de tabac, le malheur frappa. Arrivé près du pont de pierre, en haut du village, l’un des chevaux rua brusquement. Florent fut projeté au sol et passa sous la charrette. La roue écrasa violemment son pied gauche. Le verdict était terrible : le fémur brisé en six morceaux, le tibia en trois.
Commencèrent alors 18 longues semaines de souffrance, alité, sans le moindre soulagement d'une quelconque anesthésie, qui n'était pas encore inventée. Trois opérations furent nécessaires pour tenter de réparer les dégâts. Il fallut attendre jusqu’à Pâques de l’année suivante pour que Florent puisse enfin marcher sans béquilles.
Les conséquences financières furent également très lourdes. Le docteur MEYER réclama 150 francs pour ses visites, tandis que le chirurgien Philippe BERGER factura 100 francs pour ses interventions. En tout, les frais médicaux atteignirent la somme considérable de 800 francs — une charge écrasante pour une famille paysanne moyenne de l’époque.
Accident de la route
Le 11 avril 1894, la petite Florentine RIEGLER, âgée de 3 ans et demi, jouait devant sa maison lorsqu'elle fut renversée vers 11 heures par Camille BINNER, un conducteur d'attelage et apprenti meunier, originaire de Stotzheim. Assis à droite de sa charrette, il ne vit pas la petite fille qui marchait à reculons au milieu de la chaussée. Malheureusement, elle perdit la vie.
Comme le conducteur n'a pas marché à côté de ses chevaux en traversant une agglomération comme l'exige la loi, il a été condamné à 15 jours de prison pour homicide involontaire par le tribunal de Saverne.
Covoiturage
Le 18 avril 1905, à la tombée de la nuit, le concitoyen KORMANN de Valff rentrait tranquillement de Goxwiller. Il y avait acheté quelques bouteilles de vin et regagnait son foyer, son cheval trottant paisiblement sur le chemin. Soudain, un vagabond surgit de l’ombre et se posta au beau milieu de la route.
— Emmène-moi ! lança l’homme d’un ton autoritaire.
Décontenancé par l’allure menaçante de l’individu, KORMANN répondit instinctivement :
— Verschwend ! (Dégage !)
D’un geste ferme, il fit avancer son cheval, laissant le sinistre personnage sur le bord du chemin. Mais quelques instants plus tard… plus rien. L’attelage poursuivit seul sa route. Lorsqu’il entra sans son maître dans la cour de la maison, son épouse, inquiète, alerta aussitôt les voisins. Une battue s’organisa sans tarder.
Au détour du chemin, les villageois retrouvèrent finalement KORMANN, déboussolé. Il leur raconta qu’il avait été frappé violemment par-derrière. Le coup l’avait projeté hors de la carriole. Lorsqu’il reprit ses esprits, il se retrouva seul, étendu dans la nature, sans comprendre ce qui s’était passé.
L’article du journal concluait malheureusement d’un ton grave :
« Von dem gottlosen Landstreicher fehlt leider jede Spur » — On a perdu malheureusement toute trace de ce vagabond sans foi ni loi.
Vignoble de Goxwiller en 1908 (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)
Goujaterie
Stotzheim (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)
Le 14 mai 1906, un jeune apprenti pâtissier de 15 ans rentrait joyeusement à bicyclette à travers la forêt de Westhouse, après avoir passé la journée auprès de ses parents à Valff. Le calme du sous-bois contrastait avec son enthousiasme. Mais tout bascula en un instant.
Sur le chemin, il se retrouva bloqué derrière une charrette occupée par des individus à l’allure peu engageante. Soucieux de ne pas rester à leur contact, il tenta un dépassement. D’un coup de pédale énergique, il s’élança sur le côté. Mais à peine arrivé à leur hauteur, le cocher, visiblement irrité, lui asséna un violent coup de fouet en plein visage, le laissant sonné, presque inconscient.
Déterminé à ne pas se laisser faire, le jeune homme tenta une nouvelle fois de dépasser. Cette fois, ce furent les passagers qui intervinrent. Deux hommes sautèrent de la carriole : l’un gardien de prison, l’autre employé de commerce. Ensemble, ils s’acharnèrent sur le malheureux cycliste, pendant que le cocher continuait de le frapper.
Un second cycliste, un homme plus âgé, tenta à son tour de dépasser l’attelage. Il subit le même traitement et se retrouva projeté dans le fossé. Il fallut que les deux victimes unissent leurs forces pour enfin réussir à distancer la charrette.
Le lendemain, une plainte a été déposée auprès des autorités judiciaires. Une affaire qui, espérons-le, connaîtra des suites.
Déménagement
Le 19 novembre 1909, un déménageur d’Obernai se présenta chez le curé MULLER pour assurer son départ vers sa nouvelle paroisse de Muttersholz. Le convoi de déménagement, déjà prêt, n’attendait plus que le signal du départ.
Mais le cocher, ayant encore un achat à faire en ville, confia brièvement l’attelage au menuisier qui l’accompagnait. Ce dernier, peu familier avec le maniement des chevaux, préféra attendre sagement devant le porche de la maison du curé, située au numéro 180 — l’ancienne demeure des sœurs garde-malades.
C’est alors qu’un jeune fils de paysan, curieux et un brin fanfaron, s’approcha. Voyant l’hésitation du menuisier, il n’eut aucun mal à vanter ses talents de conducteur. Séduit par son assurance, le menuisier lui laissa les rênes.
Notre jeune prétentieux ne se fit pas prier. Il lança les chevaux d’un coup sec, persuadé de maîtriser la situation. Mais il avait oublié un détail d’importance : le porche n’était pas assez haut pour laisser passer la charrette.
Ce qui devait arriver arriva : un fracas retentissant accompagna l’effondrement brutal de l’arche. Un lourd bloc de pierre tomba violemment, brisa le timon du véhicule et blessa grièvement l’un des chevaux.
Le porche, quant à lui, ne fut jamais reconstruit. Il ne resta de cette mésaventure qu’une ruine muette… et une histoire racontée longtemps dans le village.
Nouvelles du pays
12 août 1915, Marie-Anne SCHULTZ écrit à son fils en voyage aux États-Unis : « Cher Xavier, fais confiance sans douter en notre Bon Dieu et à la Mère de Dieu, et tu seras protégé. N'oublie pas de prier continuellement. Aloïse et moi prions chaque jour pour toi, afin que tu rentres sain et sauf, et heureux.
Aloïse a brassé le vin aujourd'hui, et la vache ainsi que le veau vont bien. Élise, la femme d'Émile Muller, s'est malheureusement cassé la jambe. On lui avait attribué des chevaux militaires cantonnés dans le village, et elle voulait en profiter pour désherber dans les champs. Mais sur la route de Zellwiller, les chevaux se sont enfuis, renversant la charrette dans le fossé, et les chevaux se sont retrouvés par-dessus. Eugène a également eu un petit accident ! Dimanche matin, les soldats logés chez nous vont partir ».
Guet-apens
Le 25 septembre 1924, un charretier d’Obernai traversait paisiblement la forêt de Westhouse, tenant fermement les rênes de son attelage. La route, bordée de grands arbres silencieux, semblait n’être troublée que par le bruit régulier des sabots sur le sol.
Mais soudain, un éclat métallique fendit l’air : un inconnu surgit des fourrés et lança une bobine télégraphique droit sur la tête du conducteur. Pris par surprise mais pas désarmé pour autant, le charretier eut une réaction fulgurante. Sans se laisser démonter, il riposta immédiatement à coups de fouet, infligeant une correction bien sentie à son agresseur.
Profitant de la confusion, il fit claquer les rênes et lança ses chevaux au galop, s’éloignant rapidement, laissant derrière lui un voyou sonné, sans doute plus habitué aux coups fourrés qu’aux représailles musclées.
Espérons que le malotru a bien saisi le message : dans nos forêts, les honnêtes gens ne se laissent pas faire.
Automobile contre charrette
Le 12 novembre 1924, une nouvelle mésaventure routière secoua la paisible campagne entre Goxwiller et Valff. Cette fois, c’est le charretier HEINRICH qui en fit les frais. Alors qu’il regagnait tranquillement Valff, son attelage croisa la route de l’automobile de M. WEISSENBURGER d’Obernai.
Le choc fut inévitable. La voiture, solide, s’en tira avec peu de dégâts. Mais pour HEINRICH, l’histoire prit une tournure dramatique. Pris de panique, son jeune cheval rua violemment. Dans sa frayeur, il brisa le bois de l’attelage… et se fracassa une jambe.
L’accident laissa peu de choix : l’animal, gravement blessé, dut être abattu sur place. Une scène triste et brutale, reflet de cette époque charnière où la modernité à moteur commençait à bousculer les traditions des campagnes alsaciennes.
Moto contre charrette
20 septembre 1929, Henri WEILL, de Valff, a été percuté par une moto alors qu'il se trouvait au carrefour de Goxwiller en direction d'Obernai. Le choc a été si violent que sa charrette a été projetée avec les chevaux dans les champs. La moto a pris feu. Malgré des blessures à la tête, le conducteur, originaire de Colmar, a pu expliquer qu'il n'avait vu l'engin agricole traverser le carrefour qu'au dernier moment.
Camion contre charrette
Le 14 mai 1935, la routine d’une journée de travail bascula brusquement en drame près de la barrière ferroviaire de Goxwiller. George SPECHT, accompagné du jeune Albert DONATH, 17 ans, fils d’Auguste et d’Antonia HEIM, se trouvait à la scierie de Valff pour y charger des planches. Les deux hommes avaient soigneusement empilé le bois sur une charrette tirée par deux chevaux robustes, avant de prendre la route du retour.
Mais à l’approche du passage à niveau, un camion surgit à vive allure. Au volant, un maçon de Dorlisheim, trop pressé, tenta de dépasser l’attelage. Le bruit du moteur et la manœuvre brusque affolèrent les chevaux. Paniqués, ils s’emballèrent. Le camion heurta violemment la charrette, projetant hommes et bois contre les barrières du chemin de fer.
George SPECHT fut grièvement blessé à la tête et au dos. Par miracle, le jeune Albert s’en sortit indemne, secoué mais vivant. Un incident de plus à inscrire dans les chroniques rurales, où les chemins se croisent parfois dans la douleur.
Coiffeur décoiffé
Le 14 août 1936, vers 14 heures, un terrible drame a frappé la quiétude de Valff. George BIER, âgé de 60 ans, s’affairait autour de sa charrette, qu’il venait de charger de céréales. Alors qu’il mettait en mouvement son attelage, un incident mécanique aussi soudain que fatal se produisit : le timonier se détacha brusquement, projetant BIER violemment en avant.
Le choc fut d’une brutalité inouïe. L’impact lui arracha une partie du crâne. La mort fut instantanée. L’horreur de la scène glaça les témoins présents — membres de sa famille et villageois — impuissants face à l’irréparable.
George BIER laisse derrière lui une veuve en deuil et une communauté profondément choquée. Coiffeur de métier, apprécié pour sa gentillesse et son savoir-faire, il comptait parmi les figures respectées du village. Sa disparition laisse un vide dans les cœurs et dans les foyers qu’il visitait depuis tant d’années.
Charriots de feu
Une dernière ?
En mai 1938, un agriculteur de Niedernai avait entreposé sa précieuse récolte de paille en lisière de la forêt de l’Oberholtz, le temps d’organiser un second transport. Mais au matin du troisième jour, alors qu’il se rendait sur place pour charger sa charrette, une vision d’horreur s’offrit à lui : une épaisse fumée noire s’élevait du champ.
Affolé, il comprit immédiatement que sa paille brûlait. Le feu, attisé par le vent, s'était rapidement propagé. L’alerte fut donnée, et tout le village se mobilisa : à pied ou à vélo, munis de pelles, de bêches et de seaux, les habitants accoururent en renfort. Mais il était déjà trop tard. Toute la récolte était partie en fumée. Le feu avait aussi consumé les quelques effets personnels que l’agriculteur avait laissés sur place : ses vêtements, son sac à dos, et même son râteau.
Pire encore, les flammes avaient gagné le sous-bois et commencé à ronger les terres voisines, menaçant la forêt entière. Une enquête fut rapidement ouverte. L’origine du sinistre ? Un groupe de jeunes de Meistratzheim qui, imprudemment, avait allumé un feu de camp… au beau milieu de la paille. L’indignation fut générale, et il ne fait aucun doute que leurs parents eurent à répondre de cette négligence brûlante.
Fini pour aujourd'hui, je suis charrette ! 😝😁
Sources :
- Archives de Valff
- Fond Antoine MULLER
- Gallica
- Les us, coutumes et traditions après Pâques
- Histoire de l'artisanat des chapeaux de paille en Alsace, de Strasbourg à l'exposition universelle de 1867
- Chapeau, monsieur le curé !
- Fête de la Saint-Martin
- Les mariages d'antan
- La photo ratée
- La gabelle, l'impôt salé du Roi
- Les sobriquets des villages du Centre Alsace
- Clémence HIRTZLIN, la première femme alsacienne pilote de course automobile sur route
- Les ateliers de photographies