
- Écrit par : Rémy VOEGEL
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«Trenksch ein's ? » Voilà une expression que l'on pouvait entendre régulièrement dans la bouche de nos anciens alsaciens aux gorges asséchées, et quoi de mieux que d'aller se rincer le gosier dans une auberge entre copains ! Pas vrai ?
Recenser les anciennes auberges du village ne fut pas chose aisée. Nous disposons néanmoins de quelques sources, comme, par exemple, les recensements de la population avec quelques informations professionnelles lacunaires selon les dates. Cet article présentera un éventail des auberges en activités à Valff durant le XIXe siècle.
En 1907, il existait à Valff 4 débits de boissons indépendants qui employaient dans l'ensemble, en plus des propriétaires, 3 femmes, 8 personnes non rémunérées, de qu'elles dépendaient, 15 personnes âgées et enfants dont 7 de sexe féminin.
La méthode de recherches et de localisation
Il nous faut d'abord un ou des points de repères pour situer les aubergistes et leur débit de boissons dont un numéro de maison est transcrit dans les recensements. Un de ces repères est le presbytère. Nos outils de recherches sont : les recensements, les archives paroissiales et communales et les comptes des seigneurs d'Andlau.
En 1936, par exemple, le numéro attribué au presbytère était le 118 (comme les renseignements 🤪). Dans le presbytère cohabitaient alors, le curé Aloïse LEYBACH, l'abbé Dominique SCHMITT et les sœurs du curé, Odile, Catherine et Richarde LEYBACH. Le même numéro 118 était aussi attribué à l'école où habitaient, l'instituteur Antoine LEYBACH, frère du curé, sa femme et ses trois enfants, l'aide-instituteur Jean-Baptiste DARGEGER, le garde de nuit Florent DIEHLMANN ainsi que les domestiques Catherine MAETH, épouse de Diehlmann et la servante Thérèse WIMON. Puis en remontant la liste des numéros, au coin de la rue des forgerons et de la rue Principale, habitait le maréchal-ferrant Chrétien SCHWARTZ. Aucun nom de rue n'est indiqué. Les numéros seront évolutifs avec les années, ce qui ne nous facilite pas le schmilblick !
L'auberge « Gasthaus zum grünen Baum » (À l'arbre vert)
Essai de reconstitution de l'école, l'ancienne auberge et tribunal « À l'arbre vert » à Valff. A droite, entrée du presbytère
La première mention du nom de cet établissement date de 1793, relevé dans un compte-rendu de procès du canton de Barr [à lire dans le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle].
Nous avions déjà des informations datant de 1668 de l'existence de cette auberge en face de la mairie actuelle sans toutefois en connaitre le nom. L'auberge servait de salle de tribunal et de salle de réunions communales. Un local comme une mairie n'existait pas encore. Au début du XIXe siècle, l'endroit n'était déjà plus exploité. Les réunions communales se dérouleront dans la salle d'école.
Essai de reconstitution d'après un renouvellement de biens de 1668
L'aubergiste du Mayenwürth
Le 14 mars 1793 est le jour des audiences à Andlau. À huit heures du matin, le nouveau tribunal post-révolutionnaire s'est assemblé pour trancher les affaires litigieuses et pénales des citoyens du canton de Barr. Représentent le tribunal : Jean-Jacob SCHAEFFER, juge de paix du canton de Barr, les citoyens Martin GALLEREY de Reichsfeld, Geog DENNEFELD de Zellwiller et George-Antoine SPITZ de Stotzheim.
Tribunal de Barr : l'aubergiste Materne NEFF contre le procureur Xavier KORMANN
Se présente Xavier KORMANN, procurateur de la commune de Valff qui accuse Blaise HIRTZ, Blaise CHRIST, Franz Antoni ILLER et Mathéus DOTTER, quatre jeunes hommes célibataires du dit Valff de ne pas avoir tenu comptent de l'interdiction des représentants de police communaux de ne plus fréquenter l'auberge de Materne NEFF, le Meyenwürth (l'aubergiste du sapin, d'où la variante « À l'arbre vert » comme le sapin). Ils auraient non seulement trinqué jusqu'après minuit, le 17 février, mais, en plus, auraient refusé de payer l'amende récoltée, de 5 deniers 6 sous, chacun ! KORMANN invoque la solidarité du tribunal. Les quatre jeunes, sans doute impressionnés et effarouchés, reconnaissent les faits et implorent (sobrement) la clémence du tribunal.
Comptes de la commune en 1794. Frais de bouche payés à l'aubergiste Materne NEFF
Jugement : amende d'un denier chacun ! Payable à la caisse communale, plus les frais du tribunal d'un denier, huit sous et 7 1/2 pfennig (cela fait un paquet de gobelets de vins qu'ils ne pourront pas vider !). Mais où pouvait bien se trouver l'auberge du Meyenwürth Materne NEFF ?
Comme nous l'avons précité plus haut, nous connaissons l'emplacement de l'auberge "A l'arbre vert" en face de l'actuelle mairie, puisque le tribunal s'y rassemblait. En vieil allemand Maien signifie rameau de sapin. L'aubergiste Materne NEFF était donc le propriétaire de cette auberge « À l'arbre vert ». Maienwirth devait être le surnom donné à Materne NEFF.
Le différent a-t-il jeté un froid sur les relations entre le tribunal et la commune ? Rappelons que le tribunal s'était rassemblé auparavant dans ce local pour juger les affaires courantes. Pour répondre à cette question, nous disposons du seul indice qu'à partir de 1793, la commune choisira de traiter avec l'aubergiste Barbara HIRTZ de la rue des Dauphins (l'analyse concernant l'auberge est à venir).
Qui était Materne NEFF ?
François Materne NEFF, aubergiste et boucher épouse Marie Odile LUTZ. François Materne meurt en 1729. Un des fils est baptisé François Joseph, l'autre Jean. Jean décède en 1763. François Joseph connu aussi pour pratiquer le métier d'aubergiste comme Jean, meurt en 1761. François Joseph avait épousé Barbara HIRTZ. Cette dernière décèdera en 1800. Jean épouse VOEGEL Anne-Marie. Jean et Anne-Marie auront un fils prénommé Materne. Materne épousera KORMANN Marguerite. Vous suivez ?
Materne, époux de Marguerite KORMANN, est également aubergiste. Il quittera Valff pour s'installer à Molsheim où décèdera Marguerite, puis il déménagera à Still avec ses enfants, travaillant comme boucher où il trouvera également son repos éternel en 1833. Donc, l'aubergiste Materne de 1793, le Maiewirth, est le fils de Jean et Voegel Anne-Marie.
Barbara HIRTZ
Barbara HIRTZ, la veuve de François Joseph, également tenancière de l'auberge rendit un énorme service à la commune de Valff pendant la révolution. D'aprés la tradition orale, Barbara HIRTZ assurait également un service de diligence.
8 mai 1791. Les décrets instaurés par la nouvelle autorité révolutionnaire pleuvent. Le veilleur de nuit reçoit les instructions d'un arrêté de police, de mieux veiller à la fermeture des cafés et auberges le soir pile à neuf heures en hiver et dix heures en été. Après cette heure, interdiction de servir des boissons. Le montant des amendes est fixé 3 livres pour l'aubergiste et à un florin pour le client. En cas de récidive la peine s'agrandit à 5 livres.
Début 1793. Les communes reçoivent l'ordre de recruter des hommes pour former la garde nationale et des volontaires militaires. Pour compléter le contingent de Barr, la commune de Valff doit fournir une douzaine d'hommes. Personne ne se porte volontaire. La commune se voit donc obligée de financer des mercenaires : 8 sont (embauchés), originaires de la région. Le reste provient de Valff : Mathieu VETTER - 20 ans, Blaise LUTZ - 18 ans, François Joseph SIMON - 18 ans, François Joseph MEYER - 18 ans et Blaise MARTZ - 18 ans.
Dépenses pour la levée de treize volontaires recrutés par la commune en 1793
Les frais d'entretien et de fournitures s'élèvent à 1400 livres. La commune décida de financer ces dépenses par des emprunts. Antoine SPECHT prête 1200 livres, Georges SPECHT, 800 livres et notre aubergiste Barbara HIRTZ, 800 livres également. Son prêt est consenti par un remboursement annuel de 80 livres.
Comptes de la commune pour 1793. Barbe HIRTZ prête 800 livres
L'auberge de Chrétien WISS
Avec le n°144 de l'époque, l'auberge, dont nous ignorons la dénomination, devait se trouver quelque part dans le centre du village. En 1843, un plan nous permet de situer le bâtiment avec le n°195, servant également d'épicerie, puis la maison s'adjuge le n°158, un vrai cauchemar! Une étude minutieuse des propriétaires se succédant de part et d'autre, permet finalement de localiser, pour de bon, l'implantation de l'auberge au 158, épicerie au 159. Les successeurs aubergistes de WISS seront étudiés dans un prochain épisode.
A gauche de la grande demeure centrale, n°159, qui servait d'épicerie, l'ancienne auberge au 158 dans la rue des Forgerons
Copie de l'acte de décès de Françoise WISS, frappée par la foudre
En 1836, WISS Chrétien (Valff, 1779-1865) est appelé cabaretier avec son épouse Madeleine WILLENBERGER (WINTERBERGER) et deux filles issues d'une première union. Chrétien s'était marié en première noce avec Barbara KAPSZ, décédée à Benfeld. En 1829, sa fille Françoise, 18 ans, est frappée mortellement par la foudre, vers 18 heures, au lieu-dit Litzelfeld à Bourgheim. À cette époque, Chrétien est journalier à Valff et veuf. L'auberge se trouve à côté d'un certain REIBEL Jean Antoine, chandelier, qui est le neveu de Anne Barbara REIBEL. Son mari, Jacques KACHELOFFEN, ancien officier dans l'armée royale de la Marck, originaire de Spire, et a quitté son poste de militaire et a épousé en 1785 Anna Barbara. Il a ouvert une auberge à Valff. La proximité de REIBEL et WISS pourraient correspondre à la même localisation de l'auberge.
En 1846, l'auberge est en désolation. WISS est indigent et terminera sa vie en mendiant. À son décès, il est déclaré journalier-tisserand. En 1882, Thérèse, la fille de Chrétien WISS (83 ans) a perçu 30 francs par la commune sortis de la caisse des pauvres et indigents du bureau de bienfaisance.
L'auberge du moulin ?
Situé au n°79, le moulin de Valff était alimenté par l'eau de la Kirneck après déviation par les douves du château. L'aménagement d'un nouveau canal de décharge en 1821 pour détourner les eaux polluées par les tanneries de Barr, prolongea le lit de la rivière et contourna le village à partir du château. Ces travaux sonnèrent provisoirement le glas du moulin. La construction d'un barrage manuel mal conçu se révéla totalement inefficace. Le meunier Blaise JORDAN refusa de participer financièrement aux travaux. En 1823, il intenta un procès à la commune pour malfaçon, il ne passe plus une goutte d'eau sous les roues de son moulin ni dans le village [en savoir plus sur les moulins].
Cette situation lui enlevant tout moyen de subsistance, il se voit contraint d'ouvrir une auberge ?
En 1936, le meunier Blaise JORDAN, 45 ans, se serait donc converti en aubergiste ? Son moulin est recensé portant le n°77. En compagnie de sa famille et de son vieux père, l'ancien meunier, il est passé de l'eau au vin. Le meunier ne dort pas, comme dans la chanson, il a ouvert jusqu'à 23 heures. En 1841, l'eau de la Kirneck entraîne à nouveau le tournant, Blaise est à nouveau appelé « meunier ». Il peut dormir tranquille ! Sa maison porte le n°96.
Aquarelle du moulin de Valff gérée par l'IA
En 1851, il n'est plus question d'auberge. Jordan est cultivateur et meunier. Pour vous donner une idée des difficultés à situer les maisons et les noms, le moulin a maintenant reçu le n°104 ! Nondebip ! 💩
En 1851 ne figure plus l'épouse RAUEL Marie-Anne. Elle décède en 1846. En 1957, les roues du moulin s'arrêtent définitivement de tourner.
La seconde auberge de Blaise JORDAN
Salu Emala. Gerade bei dem Herz aller Liebste in der Wirthschaft (Salut Emala / Emma. Ma chère, suis de tout coeur au bistrot)
En 1846, la même année que l'annotation du meunier Jordan BLAISE au n°104, cité plus haut, on découvre un homonyme, cabaretier, habitant au n°92 ??? Hein ? Une chance de démêler le schmilblick est que le recenseur indique l'âge ! Ce Blaise à 55 ans, l'autre Blaise, le meunier, en a ... 54 ! Verdeckel !!!. Dernière piste : avec le nom des épouses. La femme du meunier s'appelle RAUEL Marie-Anne, celle du cabaretier au n°92, HIRTZ Marie Félicité. Maintenant, on peut l'affirmer haut et fort ! On ne parle pas de la même personne ! C'est un fourvoyage, un fourvoyement, un fourvissement, un fourvissage, un four à misères !
Reprenons du début :
- 1936 : la maison de BLAISE Jordan, aubergiste porte le n°77 alors que le numéro du moulin aujourd'hui est le 79. Le père de Blaise s'appelle ... Blaise ... et était déjà cabaretier
- Notre Blaise, distributeur de boissons, décède brusquement en 1848, à 56 ans, suivi par sa femme, mise en bière 😎 ... l'année suivante, le père Blaise n'est décédé qu'en 1845
- A la naissance de ses filles Madeleine et Félicité et de son fils François Xavier, le secrétaire de mairie indique le numéro de maison 71. Au décès de HIRTZ Félicité, le témoin est son fils Xavier, 26 ans, cabaretier. Xavier ne restera pas à Valff. La maison est vendue. Il s'installe à Saint-Maur dans le Val de Marne
- 1841 : l'auberge de Blaise et HIRTZ Félicité porte le n°85 bis, celle du meunier le 96 ! Le 85 bis de l'aubergiste est partagé avec la famille de tisserands de MARTZ Joseph
- 1851 : la famille MARTZ est toujours là. A la place des JORDAN on découvre le maçon STUMPF Michel puis en 1856 la veuve WEHREL Odile, veuve RISCH puis encore en 1861 le cultivateur MEYER Joseph. A noter qu'à la porte à côté habitent maintenant SCHWARTZ George, boulanger de son métier, son épouse LUTZ Anne-Marie et George, le fils naturel de la soeur de cette dernière. Nous allons reparler de cette famille
Où pouvait donc se trouver cette auberge ? Le dénouement !
Pour ce faire, il nous faut plus de repères. En 1880, le numéro du moulin est le même qu'aujourd'hui, le 79. Le truc est de comprendre quel chemin a pris le recenseur. C'est le recensement de 1871 qui sera la clé. Il est parti de la Pfutzgasse (rue des flaques) a traversé la rue Principale et a prolongé dans la rue du Moulin. En remontant les propriétaires successifs (en tenant compte des voisins) le numéro que nous cherchons est le 92, le même qu'en 1846 ! En plus, en 1871, il est noté Wirthzhaus, que veut-on de plus !
Cette année, l'auberge appartient à George SCHWARTZ, originaire de Marckolsheim et grâce au témoignage d'André VOEGEL nous connaissons le nom de son enseigne : le restaurant « Au Boeuf ». André explique que le débit de boisson exploité par SCHWARTZ était appelé S'Presissels Wirtschaft (de Presshiesel ? maison de la bière pression ?) qui fermera définitivement en 1955. Le boulanger George SCHWARTZ exploitait, au début, dans ce lieu, sa boulangerie.
En 1880, l'auberge « Au Boeuf » possédait déjà le même numéro qu'aujourd'hui, le 113. Selon les recensements, SCHWARTZ est soit boulanger, restaurateur ou les deux. André note dans le livre De Valva à Valff que SCHWARTZ aurait récupéré le droit d'exploitation à un homme de Bernardswiller qui avait épousé une fille SAAS de Valff et qui habitait au n°103 de la rue Principale. Il a bien existé une famille SAAS mais au n°101, mais pas au 103. Le chef de famille, Maximilien, était boulanger et célibataire. Aucune de ses soeurs habitant la maison ne semble s'être mariée, ce qui tenterait à confirmer l'information d'André que la maison a plus tard été vendue.
A suivre ...
Sources :
- Adeloch
- Ellenbach
- Gallica
- Généanet
- Images d'origine illustrées et régénérées par l'IA
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