Bouilleurs de cru à Saint-Pierre l'Eglise, Val de Saire, carte postale des Editions Le Goubey

Depuis la nuit des temps, la fabrication d'alcool en provenance de fruits est une tradition en Alsace. Une tradition qui se perpétuait de père en fils. Souvenirs d'André VOEGEL dans ses mémoires personnelles.

Dès ma tendre enfance, j'ai assisté mon père lors de la fabrication du schnaps. La distillation étant strictement réglementée par la loi, c'est bien pourquoi on recherchait par tous les moyens occultes possibles, à tricher sur la quantité produite. En effet la loi prévoit, notamment pour ceux qui ont encore le privilège de pouvoir distiller, un maximum de 10 litres d'alcool pur, ou 20 litres d'alcool à 50° en franchise, c.à.d. sans devoir payer les importantes taxes exigées sur les alcools forts. Ce privilège se meurt doucement, puisqu'il ne reste plus qu'un nombre restreint de bénéficiaires, dont je fais partie.

La loi concernant la franchise de dix litres d'alcool pur pour les bouilleurs de cru, date du 28 février 1923 et a été complètement abolie le 30 août 1960. Cette franchise n'est plus transmissible aux enfants, seul le conjoint survivant peut encore en profiter. Pouvaient garder ce privilège tous les agriculteurs et viticulteurs et, par dérogation, tous ceux qui étaient propriétaires d'arbres fruitiers ou de vignes et qui bénéficiaient de la loi de 1953. Cette dernière dérogation s'applique pour moi. Actuellement la distillation en tant que telle n'est pas totalement interdite, mais il faut acquitter les importantes taxes dès le premier litre. En vieille France par exemple, les alambics ambulants sont interdits : il faut obligatoirement distiller ses produits à l'atelier public, au jour et à l'heure fixée par l'autorité compétente. En Alsace par contre, l'alambic peut circuler dans le canton et les cantons limitrophes. Pendant la période inactive de l'alambic et pendant la nuit, il faut impérativement rapporter au préposé de la commune, une pièce maîtresse de la machine sans laquelle on ne peut pas distiller. En principe, on rapporte le tuyau de circulation des vapeurs, entre la cuve et le système de condensation par réfrigération d'eau froide. 

Fabrique distillerie HANHART-ESSER de Thann après un bombardement

La réglementation interdit également la chaptalisation des fruits avant la fermentation dans le but d'augmenter le rendement. Les contrôles des agents de la répression des fraudes sont possibles au moment de la distillation, où ils peuvent déterminer avec précision le taux de glucose (contenu dans le fruit), ou le taux de saccharose (sucre de canne ou de betterave ajouté) contenu dans le produit à distiller. C'est ainsi qu'on peut déterminer avec exactitude le rendement en alcool pour chaque fruit non chaptalisé. Un hl de Kirsch fermenté donne 4,5 litres d'alcool pur à 100°, la mirabelle 5 litres, la quetsche 4 litres, la poire 3 litres et le marc 1,5 litres.

Dans chaque ferme d'une certaine importance se trouvait une petite distillerie artisanale à poste fixe, d'une contenance de cuve d'environ 50 litres. Avec ces petits alambics, le procédé de distillation prenait un temps fou et on était parfois obligé de travailler jour et nuit. Chez les agriculteurs on réservait la distillation pour l'hiver. Le bain-marie était inconnu (ce qui augmentait le risque de brûler les produits), de même que le procédé de condensation avec une grande tonne à eau froide. La condensation se faisait à main de la façon suivante : les vapeurs des parties volatiles du produit à distiller étaient canalisées dans un tuyau en cuivre à deux bras. La condensation des vapeurs s'effectuait dans cette double tuyauterie, par application de chiffons mouillés, constamment renouvelés. Le produit final était recueilli dans un réservoir, placé à l'embouchure de la double tuyauterie de conduite.

En juillet 1977, j'ai acquis avec mon frère Emile et mon cousin Pierre, un alambic ambulant d'occasion de fabrication d'après guerre, avec une cuve de 100 litres, un bain-marie, une réfrigération à eau froide par tuyau spiroïdal et un chauffage au bois. C'est à ce moment que je suis devenu bouilleur de cru à domicile. 

 La distillerie Cusenier à Ornans dans le Doubs

Durant une certaine période j'avais plus de 50 mirabelliers et une vingtaine de quetschiers. Il n'y avait jamais aucun manque de fruits ; le problème en était le ramassage. Plus tard j'ai revendu un grand verger, afin de réduire le nombre d'arbres qui était devenu trop grand, mais je voulais également marquer une pause dans mon activité de distillation. Mon stock d'alcool était en effet devenu trop important et les possibilités de vente s'amenuisaient. La consommation se ralentissait du fait des contrôles d'alcoolémie au volant. Depuis des années l'alambic est au repos et je ne distille plus que très rarement pour me faire plaisir, mais jamais pour moi personnellement. Encore actuellement je suis empreint d'une certaine nostalgie, en pensant à ces heures passées devant l'alambic, en train de chauffer la cuve pleine de fruits fermentés, de superviser le bon fonctionnement de l'installation, ou d'ajuster le dosage final en alcool (qui doit se situer entre 48 et 52° pour un alcool blanc bien de chez nous). 

Et puis finalement il y avait aussi le côté aventurier, audacieux, le goût du risque, le plaisir de la réussite d'une entreprise hasardeuse et surtout « la satisfaction d'avoir blousé le fisc » des taxes de distillation redevables pour la quantité d'alcool au-delà du seuil de la franchise. Mais le jeu n'en valait certainement pas la chandelle, telle est ma conclusion avec le recul de l'âge.

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.