Il y a 125 ans, le 22 juillet 1900, se tenait la toute première course automobile interrégionale organisée en Alsace-Bade-Wurtemberg.

À l’initiative de l’Automobile Club d’Alsace-Lorraine, et en collaboration avec le club cycliste Radfahrer-Union, cet événement inédit a marqué les débuts du sport automobile dans la région. Le journal Strasburger Neueste Nachrichten relatait l’événement en ces termes : « Le 22 juillet 1900, l’Automobile-Club Alsace-Lorraine organisa en Alsace la toute première course automobile, en coopération avec le club cycliste Radfahrer-Union. Le départ fut donné par le baron von Molitor, président de l’Automobile-Club du Bade-Wurtemberg, aux côtés de Camille Bourlet, représentant le club alsacien ».

Le parcours de 90 kilomètres démarra au Petit Rhin à Strasbourg, à six heures du matin, traverse le Rhin vers le Bade-Wurtemberg via Kehl, Ichenheim et Dinglingen, puis revenait en Alsace par Rhinau, Boofzheim, Plobsheim, pour se terminer à la Scharenmühle à Strasbourg. Les concurrents prirent le départ toutes les minutes, les derniers franchirent la ligne d'arrivée vers 11 heures, sous une chaleur étouffante et accablante de près de 30°C. Le plateau se composait de coureurs venus de France, d'Allemagne et de Belgique.

Extrait du journal l'Auto de 1900

Vingt-quatre concurrents courageux prirent le départ

C’est le baron de Turckheim, venu de Lunéville, qui franchit le premier la ligne d’arrivée au volant de sa puissante voiture de sport De Dietrich-Niederbronn de la puissance exceptionnelle de 20 chevaux. Il parcourut les 90 kilomètres en 1 heure et 28 minutes, atteignant une vitesse moyenne impressionnante de 60 km/h. Son principal adversaire, le pilote Michel FETZER, sur une voiture Benz, fut ralenti par un problème de pneumatique et mit plus de quatre heures à rallier l’arrivée.

Parmi les tricycles motorisés, le premier à se distinguer fut DUBLON de Mannheim, avec un véhicule de 2 ¼ chevaux, réalisant un temps de 2 heures et 3 minutes. Des pilotes comme Émile MATHIS (futur fondateur des automobiles Mathis), FISCHBACH de Strasbourg, le baron HIRSCH d’Ortenberg, Nikolaus KIEFFER de Munster, et le brasseur strasbourgeois Max SCHUTZENBERGER se firent également remarquer.

Mention spéciale fut décernée à Émile KRAEUTLER, qui remporta le premier prix sur sa Peugeot Audincourt. Sa petite voiturette de 500 kg boucla le parcours en 1 heure et 44 minutes à une vitesse moyenne de 51 km/h. Autre prix notable : celui remis à Wilhelm BAUMANN, qui courra sur un véhicule de la fabrique d’Eisenach.

La qualité de l'organisation fut saluée unanimement

Bien que le Strasburger Neueste Nachrichten ne mentionne pas Clémence ni son mari, nul doute qu’ils suivirent cette première historique avec un vif intérêt (1). Les journaux Der Elsässer et Strasburger Post complètent le tableau avec les résultats officiels :

  • Voitures de course (2 participants) :
    • 1ᵉʳ : Baron de Turckheim (voiture De Dietrich, 4 cylindres, fabriquée à Niederbronn) – récompensé de 300 Marks
  • Voitures de tourisme de plus de 500 kg - 4 participants :
    • 1ᵉʳ : Max Schützenberger (brasseur) sur De Dietrich – 250 Marks
    • 2ᵉ : Théodore Bergmann (constructeur à Gaggenau) en 2 h 38 – 100 Marks
    • 3ᵉ : Nicolas Kieffer, pilote pour André Hartmann de Munster – 2 h 42, malgré une défaillance du cylindre.

Petites anecdotes : en 1898, le même constructeur HARTMANN et son employé furent victimes d’un grave incident. Alors qu’ils redescendaient du col de la Schlucht, leur véhicule prit feu. Contraints de sauter en marche, ils échappèrent de justesse à l’explosion de la voiture, qui finit en flammes dans un fossé. Nicolas KIEFFER était pilote de la voiture d'André HARTMANN également directeur de l'usine de textile de Munster. Autre anecdote, un des concurrents a dû abandonner en milieu de course pour rupture de l'essieu.   En 1893, la construction et la conception d'une voiture 2 temps coûtait la somme astronomique de 86 000 Francs (2), soit en pouvoir d'achat 39 272 848,68 euros actuels !

Max SCHUTZENBERGER en 1901

Publicité dans le Strasburger Post du 22 juillet 1900

  • Voitures de tourisme légères (moins de 500 kg) - 12 participants :
    • 1ᵉʳ : Émile KRAUTLER (Mulhouse), sur Peugeot Audincourt – 1 h 44, moyenne 51 km/h – 200 Marks
    • 2ᵉ : Eugène BENTZ, sur Benz & Cie, Mannheim – 2 h 03 – 100 Marks
    • 3ᵉ : Conrad FREY (Strasbourg), sur Jeanperrin – 2 h 21
    • Un participant dut abandonner en raison d’une casse d’essieu
  • Prix d’honneur :
    • Louis BOUSQUET, sur Jeanperrin (Paris)
    • Wilhelm BAUMANN (Strasbourg), sur Fischer – 100 Marks
    • G. KRANNER (Strasbourg), sur Benz
    • Émile JEANNIN (Strasbourg), sur Automobil-Gesellschaft Berlin – 40 Marks
    • Michel FETZER, malgré son retard, salué pour sa persévérance
  • Tricycles motorisés (Motordreiräder) - 5 participants :
    • 1ᵉʳ : DBBLON (Mannheim), sur tricycle de sa fabrication – 2 h 09
    • 2ᵉ : Baron HIRSCH (Ortenberg) – 2 h 20
  • Autres participants notables :
    • Émile MATHIS (futur constructeur à Graffenstaden)
    • FISCHBACH (Strasbourg)
    • A. LESAGE (Alsace), sur De Dion-Bouton (Paris) – 2 h 25

1901 Les membres de l'automobile club Alsace-Lorraine dans la cour du restaurant "Baeckehiesel" près du parc de l'Orangerie (aujourd'hui en face du Parlement Européen) à Strasbourg.

Organisation exemplaire

Chaque croisement était sécurisé par des cyclistes du club Radfahrer-Union, avec des postes de secours prévus tout au long du parcours. Aucun accident ne fut signalé, un exploit pour une première édition.

Aucune mention directe de Clémence HIRTZLIN, la première femme alsacienne pilote de course automobile sur route, ou de son mari dans les comptes rendus, mais l’événement a sans doute captivé toute la région, amateurs et curieux inclus.

Tricycle De Dion Bouton

Le prince de Hohenlohe-Langenburg, également comte de Bismarck, avait adressé un télégramme aux organisateurs pour présenter ses regrets de ne pouvoir assister à l’événement, tout en leur transmettant ses meilleurs vœux de succès.

Une information insolite est rapportée par le journal Freie Presse, d’orientation réactionnaire : selon ses sources, au cours de l’après-midi orageux de ce dimanche, deux automobiles auraient été frappées par la foudre, l’une dans la Hohenlohestrasse (actuelle avenue de la Marseillaise), l’autre dans la Ruprechtsauer Allee (aujourd’hui allée de la Robertsau), à Strasbourg. Les moteurs auraient été détruits — non sans que certains soupçonnent une intervention humaine…

Malgré cela, l’événement fut un franc succès : près de 200 automobilistes se rassemblèrent à Strasbourg pour assister ou participer à cette journée historique.

Le spectacle vélocipédique à la salle du Tivoli et le corso fleuri, noyé ...

Le gouverneur von Sick avec épouse et filles s'était déplacé pour admirer le spectacle, proposé le samedi, et assister à la représentation artistique inter-régionale vélocipédique organisée par 7 associations : Baden-Baden, 16 vélos ; Strasbourg : 16 vélos ; Haguenau avec 8 vélos ; Radfahrer-Verein-Fidelio : 8 vélos ; Radfahrer-Verein-St Johann ; Mormatia de Worms : 12 vélos et celui de Metz dont les 8 vélocipédistes se sont présentés en costumes blancs et chapeaux de paille. Le public, d'un millier de personnes, a été fortement impressionné par les figures proposées, les contorsions, acrobaties et autre présentation synchronisée. Le concours comptait pour le classement annuel du Kunstmeisterschafts-Reigenfahren-Touren-Club d'Allemagne. Baden-Baden, Strasbourg et Mormatia se disputèrent les premières places. C'est le club strasbourgeois qui raflera la première place pour l'année 1900-1901.

Des vélocipédistes féminines (3) aussi, se firent remarquer lors du corso du dimanche jusqu'à ce qu'un orage aussi violent qu'inattendu balaya la fête, détrempa les chars richement décorés, ratatina les fleurs, anéanti le travail de chorégraphies, tant entraîné, des troupes sportives, imbiba les orchestres, les fanfares, les groupes folkloriques. Tout ce beau monde était encore rassemblé, discipliné, dès midi sur la place de Schiltigheim pour le top départ, sagement espacés par des jeunes portant pancarte de l'association, quand, soudain ... le ciel se déchira !

Le kiosque, les bistrots d'alentour et tout abri de fortune furent pris d'assaut ! On courra pour le sauf qui peut ! Certains hommes et femmes dans leurs belles parures blanches étaient trempés jusqu'aux os, les vélos, si patiemment fleuris, traînaient à terre, abandonnés, les chevaux délaissés à leur triste sort, dégoulinaient de tout leur corps, tête basse, pendant que la place se transforma en lac.

Pour narguer la météo ennemie, les organisateurs, entêtés, décidèrent, envers et contre tout, de maintenir l'objectif final de la journée de se retrouver au restaurant Bäckehiesel pour la distribution des prix.  Et c'est au son de départ d'une trompette que tout ce qui pouvait encore marcher ou "nager" se mit en branle, pour boire, non plus de l'eau, mais de la bière et du bon vin d'Alsace, naturellement !

La soirée fut clôturée avec un magnifique feu d'artifice tiré dans le parc de l'orangerie où flottait un immense drapeau drapé de l'aigle prussien. Des jeux d'eaux dans le parc et l'illumination de la cathédrale enchantèrent également la population.

L'automobile en Alsace 

Officieusement, l'annuaire automobile de 1900 ne comptabilisait qu'une vingtaine de véhicules circulant en Alsace, ce qui sous-entend un afflux massif de visiteurs d'Outre-Rhin. 

Article du Strasburger Post

Strasbourg vécu un week-end mémorable, à bien des égards et une journée pionnière pour l'ensemble du sport mécanique alsacien.

(1) Même si Clémence HIRTZLIN, la première femme alsacienne pilote de course automobile sur route, membre de l'Automobile club strasbourgeois, ne figurait pas sur la liste de départ, elle a dû suivre, avec un intérêt certain, le déroulement de cette première mémorable !

(2) L'automobile - Jean-Pierre PEUGEOT : Une automobile en 1900 coûtait 5 000 frs soit 2 283 305 euros en pouvoir d'achat en 2024

(3) La découverte de la vélocipédie par les femmes a été mal accueillie dans les premières années par certains hommes machistes et des hommes d'églises. 

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.