3 avril 1865, cour d'assises du Bas-Rhin, rue du fossé des Treize à Strasbourg. Une foule extraordinaire se presse dans la salle ; l'auditoire, l'enceinte réservée (et celle qui ne l'est plus) et la tribune sont encombrées de curieux (sic).
Mais quel crime peut bien déplacer une si grande foule ? Une fille qui a des liens avec Valff est impliquée. L'huissier proclame haut et fort : « Attention, le tribunal, Veuillez-vous lever ! ». Les magistrats prennent place. Un silence de plomb envahi la salle.
Sur la sellette viennent s'asseoir les nommées :
- Élisabeth SCHUBERT, âgée de 50 ans, femme de Jean-Baptiste RINGEISEN, originaire d'Ebersmunster et ouvrier forgeron à Strasbourg. L'accusée est née à Obenheim le 18 octobre 1814, village du canton d'Erstein, demeurant à Strasbourg, Marché-Guyot. Elle décèdera le 25 juillet 1865 à 22 heures à la prison pour femmes d'Haguenau, trois mois après son internement. La cause de sa mort n'a pas été divulguée. Jean-Baptiste se remariera quatre ans après
- Anne-Marie SCHLIENGER, âgée de 23 ans, couturière, née et domiciliée à Colmar. La première est accusée d'avoir, en décembre 1863, procuré l'avortement de la fille SCHLIENGER. Celle-ci est accusée d'avoir consenti à faire usage des moyens à elle, indiqués ou administrés pour se procurer un avortement.
L'acte d'accusation est proclamé, le procès peut commencer : meurtre par avortement.
Les faits
Élisabeth SCHUBERT, femme RINGEISEN, revendeuse de légumes à Strasbourg, passait, depuis longues années, pour se livrer à la pratique des avortements. Une première poursuite intentée contre elle pour faits de cette nature en 1857, n'aboutit pas, mais révéla des faits d'une profonde immoralité qui amenèrent sa condamnation à six mois d'emprisonnement, 50 francs d'amende et deux ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, pour excitation à la débauche de mineures (texte extrait du Niederreinischer Kurier 4 avril 1865).
Depuis lors, les rumeurs fâcheuses qui circulaient sur le compte de cette femme n'avaient fait que s'accroitre, et diverses circonstances paraissaient leur donner un grand caractère de vraisemblance. On voyait fréquemment entrer et sortir de chez elle des jeunes filles, dont la présence dans son logement ne pouvait s'expliquer par aucun motif plausible, et bien que les bénéfices do son petit commerce ne puissent être que fort minimes, elle avait constamment à sa disposition des sommes relativement considérables qui lui permettaient de satisfaire son goût pour la boisson.
Dans le courant de l'automne 1863, la femme RINGEISEN reçut par la poste une lettre qui lui était adressée par sa nièce Stéphanie RINGEISEN, alors en apprentissage chez la seconde accusée, Anne-Marie SCHLIENGER. Ne pouvant déchiffrer l'écriture, l'accusée RINGEISEN appela l'une de ses locataires, et la pria de lui en faire connaitre le contenu. Dans cette lettre, Stéphanie RINGEISEN écrivait à sa tante qu'elle connaissait une jeune fille enceinte de six mois environ et lui demandait si elle ne pourrait rien faire pour elle. Cette jeune fille, l'information l'a démontré, n'était autre que l'accusée Anne-Marie SCHLIENGER. Celle-ci, en effet, avait fait confidence de son état à Stéphanie RINGEISEN et lui avait manifesté, en même temps, son intention bien arrêtée de se débarrasser par un crime de l'enfant qu'elle portait dans son sein.
Après avoir inutilement combattu cette résolution, Stéphanie avait, dans un moment de coupable faiblesse, consenti à écrire la lettre dont il vient d'être question. La femme RINGEISEN ne tarda pas à répondre à cet appel. Quelques jours après, elle s'absenta de Strasbourg, sous le prétexte d'aller voir des parents à Valff, mais en réalité, elle se rendit à Colmar, où elle eut avec la fille SCHLIENGER une première entrevue. À cette occasion, il fut convenu que les manœuvres abortives seraient pratiquées à Strasbourg et que la fille SCHLIENGER paierait à sa complice une somme de 100 fr.
Avec l'aide d'une descendante de la famille RINGEISEN, il nous a été permis d'identifier Stéphanie RINGEISEN. Marie Stéphanie, couturière, est née à Neubois en 1839. Son père, Ignace THIÉBAUT, est né à Ebersmunster. Il a été garde-forestier à Neubois puis employé des chemins de fer et cabaretier à la station de Guémar. Stéphanie est la nièce de Jean-Baptiste, le mari d'Élisabeth SCHUBERT. Un autre oncle, Charles François Antoine, était surveillant au bagne de Cayenne en Guyane française (ça ne s'invente pas !).
Ce programme fut textuellement exécuté. Dans le courant du mois de décembre 1883. Anne-Marie SCHLIENGER se rendit une première fois à Strasbourg et y passa une nuit chez sa coaccusée. Elle y revint le 28 du même mois et fut installée dans une chambre du second étage dont elle ne sortit que le 31 au soir.
Nul doute que, dans cet intervalle de quatre jours le crime n'ait été consommé : l'accusation tire cette conséquence de diverses circonstances qu'il est inutile d'énumérer ici, mais qui ont un immense intérêt au procès. La fille SCHLIENGER retourna à Colmar vers la soirée du 31 décembre. Elle y arriva à 10 heures. En quittant Strasbourg, elle se fit conduire à la gare du chemin de fer par un cocher de citadine.
Dès le lendemain de son arrivée à Colmar, dit l'acte d'accusation, la fille SCHLIENGER annonça qu'elle venait de faire dans la nuit, une fausse couche, et fit faire à la mairie la déclaration de la naissance d'un enfant mort-né. Tous ces faits étaient consommés depuis longtemps, lorsqu'une lettre anonyme porta à la connaissance de la police do Strasbourg les manœuvres ténébreuses de la femme RINGEISEN. Une instruction judiciaire s'ouvrit. Elle fut longue et laborieuse.
La femme RINGEISEN et Amie-Marie SCHLIENGER furent successivement arrêtées ; elles tombèrent aussitôt dans les contradictions les plus flagrantes et les plus étranges, et leurs contradictions et leurs mensonges ne sont pas les moindres des charges qui s'élèvent aujourd'hui contre elles. L'enquête établit en outre que la fille SCHLIENGER avait fait parvenir à sa coaccusée un acompte de 50 fr sur le prix qui avait été stipulé.
Malgré ces constatations, les deux accusés se sont renfermées pendant tout le cours de l'instruction, et aujourd'hui à l'audience, dans un système absolu de dénégations. Après l'audition de quatorze témoins, Maître WEISS, substitut, a soutenu l'accusation. Maîtres MAYER et HEYSER, avocats, ont présenté la défense. Après une courte délibération, le jury a rapporté un verdict de culpabilité contre les deux accusées, mitigé toutefois par l'admission de circonstances atténuantes à l'égard d'Anne-Marie SCHLIENGER.
Après une courte délibération, le jury a rapporté un verdict de culpabilité contre les deux accusées, mitigé toutefois par l'admission de circonstances atténuantes à l'égard de Mme-Marie SCHLIENGER. En conséquence de ce verdict, la Cour condamne la fille SCHLIENGER à deux ans d'emprisonnement, et la femme RINGEISEN à huit ans de réclusion, à la surveillance de la haute police pendant toute la vie, à l'interdiction légale et à la dégradation civique.
« Messieurs les jurés, a dit Monsieur le Président après le prononce de cet arrêt, permettez-moi de vous remercier du concours zélé, éclairé et ferme que vous avez prêté à l'administration de la justice pendant celle session. L'audience est levée. La session est close. »
Maison d'arrêt pour femmes à Haguenau
Le lien avec Valff
Il y a eu effectivement, à cette période, une famille RINGEISEN à Valff. Néanmoins, la généalogie ne nous permet pas, à ce jour, de relier les deux familles RINGEISEN. Elisabeth SCHUBERT avait menti à son mari concernant « ces parents à Valff ». Elle a tout à fait pu mentir au sujet d'un lien quelconque. Ignace RINGEISEN de Valff a été maire du village (1852-1860). Une fondation RINGEISEN est toujours en vigueur [en savoir plus : La maison des soeurs garde-malades].
Ignace RINGEISEN est né à Kogenheim, ses parents étaient d'Ebersheim. Ils ont déménagé à Kogenheim où son père, François Antoine, a aussi été maire. Le frère d'Ignace, Ferdinand, est décédé à Westhouse en juillet 1840, Ignace s'est marié la même année en octobre à Valff avec Marie-Anne Jordan.
Religieuses encadrantes dans une prison pour femmes comme à Haguenau