La Grande Guerre finit de faucher des vies. La population alsacienne tente de retrouver un rythme de vie correct. Il s'agit bientôt de cohabiter avec les nouvelles autorités françaises. Tout le monde connait le conte de Grimm du « Ratenfänger de Hameln ». Mais connaissez-vous l'histoire du « Ratenfänger de Walf » ?  La grippe espagnole s'étend et l'angoisse grandit, tour d'horizon.

1918  

Le Maire Blaise ANDRES est remplacé par Florent SCHMITT. Il tiendra deux ans.

Avril. Le représentant « Wissenschaftlicher Hilfslehrer » du lycée d'Obernai, SCHMALTZ, de l'organisation « Elsass-Lothringische Heimatdienst » s'est installé dans la région de Bernardswiller, Goxwiller, Meistratzheim, Walf et Zellwiller. Il a présenté des conférences vantant les réalisations ethniques, historiques, linguistiques, agricoles et culturelles des autorités allemandes depuis l'annexion en 1870. « Peuple alsacien et surtout agriculteurs ! Montrez votre reconnaissance en soutenant par votre engagement et l'incorporation dans l'armée allemande pour le bien de notre mère Patrie et notre bel Alsace ! ». Une grande assistance et de vigoureux applaudissements ont salué l'orateur.

Juillet. Un jeune de 14 ans d'ici, s'est amusé à grimper sur un des poteaux électriques nouvellement installés. Ayant aucune connaissance des dangers de l'électricité, il a tendu les mains en direction des câbles et fut frappé par un arc électrique. Ses blessures sont tellement importantes, qu'il a dû être amputé d'urgence du bras droit.

Fin août, le fanatique gendarme allemand SCHLANSTETD est retrouvé assassiné près de Valff.

9 octobre. Un incendie détruit six maisons d'habitations et huit granges. Le feu s'est déclaré chez un boulanger. Quatre personnes sont mortes brûlées. Trois corps ont été découverts lors des travaux de déblayages. Il s'agit de soldats stationnés dans le village. Le quatrième a été tué en touchant la ligne électrique. La nouvelle du décès de soldats est démentie dans les journaux en octobre. (La place restée terrain vague pendant de nombreuses années fut appelée par les villageois « Bi de verbrande Schiere » (Aux granges brûlées). On y installa, après la deuxième guerre, des baraquements pour les soldats et les prisonniers, baraques qui servirent jusqu'à leur démontage de salle de bal.

Les propriétés touchées :

  • Georges KLEIBER et Catherine WITTERSHEIM, n°206 rue Principale : grange
  • Joseph ROSFELDER et Joséphine HEYD, n°208 rue Principale : maison et grange
  • Eugène SAAS et Joséphine HIRTZ, n°210 rue Principale : maison et grange
  • Joseph ANTZ et Régine ANDRES, n°212 rue Principale (Joseph STEIN) : maison et grange
  • Xavier SIMON et Eugénie ANTZ, n°214 rue Principale : maison et grange
  • Aloyse et Joseph ROSFELDER, n°216 rue Principale (Albert ROSFELDER) : grange
  • Georges WERCK et Marie ANDRES, n°218 rue Principale (François Antoine WERCK) : grange
  • Florent LUTZ et Madeleine WERCK, n°221 rue Principale : grange

6 novembre. L'armistice se profile et la guerre semble s'éloigner. À Sélestat, la grippe, connue sous le nom de grippe espagnole (Spanische Grippe) étend son manteau macabre. De plus en plus de décès sont signalés. Parmi les victimes, l'enseignante de la Divine Providence, sœur Féliciana WELSCHINGER en vacances chez sa sœur, l'épouse du Conseiller Municipal George GENN, où toute la famille a été contaminée. Âgée de 38 ans, elle servait au poste d'enseignante à l'école des filles de Valff (Caroline WELSCHINGER est née à Wintzenheim et était la fille du cordonnier George WELSCHINGER).

14 décembre. Le vénérable maître d'école Théobald HILSZ n'est plus. Il avait 96 ans et était appelé tendrement Papa Hilsz. Son jeune frère Simon, vicaire général, vient tout juste de disparaître en 1917. Né à Rhinau, Théobald était élève de l'abbé Ferdinand MUHE, vicaire et prédicateur à la cathédrale de Strasbourg.

Ferdinand MUHE

Théobald HILSZ, l'instituteur francophile, a œuvré à l'école des garçons de Valff à partir de 1843 et pendant deux ans à Seltz. Il a encore pu admirer, avant de mourir, du haut de sa fenêtre, la tant espérée entrée à Valff de l'armée française. Il est décédé avec à ses côtés, sa nièce qui s'était tant occupée de lui et, sur sa demande, d'un prêtre missionnaire français en uniforme. Il a refusé toute plaque commémorative. 

1919

Nomination au titre d'officier académique de sœur Edouarda de Valff. 

Février. Un incendie a totalement détruit la maison de deux étages du marchand Virgile LÉVI. Les soldats cantonnés ainsi que les pompiers locaux ont pu sauver quelques biens.

Novembre. Le cordonnier Florent KORMANN qui traîne déjà 26 condamnations derrière lui, se retrouve à nouveau devant le tribunal. Il est accusé et reconnait avoir en septembre volé et vendu une paire de chaussures qu'une famille lui avait donné en réparation. Il est également condamné pour l'intrusion et le vol de vêtements dans différentes propriétés. Il purgera une peine de quatre ans et six mois de prison.

Condamnation de 1906 de Florent KORMANN pour mendicité [à lire : Devise des Dalton de Valff : voler plus vite que son ombre !]

Suite à cessation d'exploitation, vend une presse hydraulique avec tous les accessoires. N'a servi que deux saisons avec moteur, transmission, pompe, élévateur, pilon en pierre, filtre à vin, plus 40 fûts de transports de six cents à sept cents litres. Auguste VOEGEL à Valff. Station de Goxwiller. 

1920

Février. La commune de Valff va vendre aux enchères 140 peupliers d'environ 350 mètres cubes et huit chênes d'environ 20 stères. Les offres peuvent être remises dans des plis cachetés. Le Maire par intérim J. WERCK. 

Juin. Le sieur Arnold LEUTHARD de Valff qui s'était fait passer pour un détective privé afin de mieux cambrioler ses victimes a été condamné à trois mois de prison.

Juillet. Résultat des élections : Valff, Maire, Jean-Baptiste JORDAN.

Revirement de situation : le Conseil municipal nomme à la majorité des voix, Kleiber Jean-George, maire. Une injustice est réparée ! Sous le régime allemand, Kleiber aurait déjà dû être nommé, mais un bureaucrate des Impôts allemand avait déclaré, très officiellement, que Kleiber ne pouvait remplir cette fonction parce qu'il avait été scolarisé dans une école française, avait de la famille en France et a refusé de servir dans l'armée allemande pour raison maquillée, d'après les autorités, de soutient de famille. Il est à rappeler qu'il est le fils unique de sa mère, veuve. Kleiber avait déjà refusé le poste, encore moins postulé, mais sous la pression du Conseil a finalement accepté.  

Maire Jean-George Kleiber lors de l'inauguration du monument aux morts en 1932

Le premier grand chantier du nouveau maire sera de calmer les ardeurs échauffées. L'ancien maire Jordan avait entrepris de créer un comité pour ériger un monument en souvenir des soldats tombés à la guerre. Une souscription a déjà rassemblé la somme de 3300 Frs. L'ancien maire Jordan avait décidé d'ériger la stèle devant l'églis St-Blaise. D'autres donateurs préfèreraient que le monument soit construit devant le cimetière. Une plainte auprès de la sous-préfecture a été déposée.  

Décembre. C'est dans un costume de marin et prétendant travailler pour une entreprise hollandaise, qu'un jeune colporteur a proposé aux agriculteurs de Valff d'échanger contre un sac de pommes de terre de 50 kg, un sac de sucre (1) et deux poules, 25 kg de sucre ou six toiles en lin. Le sucre, les toiles de lin et les tissus seraient livrés des Pays-Bas dans de grandes voitures et qui, à l'inverse, emporteraient les pommes de terre et les poules dans ce pays. La seule condition est qu'avant que ne se réalise le troc, les agriculteurs devraient lui acheter une boite de raticide à 6 francs.

Recherche représentant de commerce emportant avec son vélo des produits du sucre à proposer aux épiciers du Bas-Rhin et de la Lorraine

En un jour, il a écoulé dans notre village pour plus de 2000 frs de raticide ! Les fameuses automobiles de Hollande sont toujours attendues ! Par contre, le village est équipé pour plusieurs années. Comme nous allons le voir l'année suivante, le village sera envahi par les rongeurs. Un proverbe bien connu est d'usage : « Les paysans les plus stupides ont les plus grosses pommes de terre, "Demste Büre ha d'greschte Ardepfel" »

Publicité de 1921

1921

Avril. Les hospices civils de Strasbourg louent aux enchères de nombreux biens dans toute la région. L'attribution des biens à Walf, Bourgheim, Goxwiller et Gertwiller seront proposés le 4 juin à 14 heures au restaurant Krebs à Altenstadt près Wissembourg par le notaire GRUNER.

Mai. Le producteur de lait, Aloïse HIRN, est condamné par le tribunal de Saverne pour avoir vendu du lait frelaté. Il accuse son épouse d'avoir « oublié » de vider totalement l'eau du nettoyage des conteneurs. Les analyses ont démontré que 5 litres de lait étaient diluées avec 1 litre 1/2 d'eau. HIRN a écopé de 8 jours de prison et 250 frs d'amende plus les frais de tribunal. Le jugement a été affiché pendant huit jours sur la boite d'information de la mairie et publié dans le journal « Courrier d'Obernai ».

Juin. Le vicaire de Dachstein, ancien vicaire d'Obernai, Joseph BERGEMER est nommé curé de Valff, affectation qu'il refusera.

Souvenez-vous de l'affaire du colporteur qui a vendu du raticide à Valff. Le pays souffre des suites brutales d'une grande chaleur et sécheresse après une longue période de froid qui eu pour conséquence l'invasion de souris et mulots qui détruisirent les récoltes. Le curé s'empressa, pour venir au secours de ses ouailles, de récolter de la paille et du foin afin qu'ils puissent faire survivre leur bétail. Déjà en 1918, un quart des récoltes avaient été grignotée par les nuisibles et en 1822, on avait détruit, rien que dans l'arrondissement de Saverne, 1,5 million de souris !

Quant au curé BERGEMER de Dachstein, il desservira la cure de Matzenheim à partir de 1923.

L'invasion des rongeurs. Vu l'ampleur de la prolifération des rongeurs, le Comptoir Populaire de Strasbourg distribue du poison de la marque Kema. Certains proposent d'empoisonner des œufs au phosphore, à la strychnine ou à l'arsenic pour nourrir les bêbêtes. Mais comme les autres animaux des champs et aussi des animaux domestiques crèvent aussi, le groupement des Comices agricoles conseille d'éliminer les indésirables en les infectant avec des grains de blé contaminés avec le bacille du typhus de la souris, produit distribué gratuitement ! Des graines miracles sont proposées par le centre de recherches agricoles de Metz.  À Colmar, on mélange 1 litre de poison à 10 litres d'avoine. Certains suggèrent de passer un rouleau compresseur puis de noyer les trous des souris. En deux heures, quatre personnes ont ainsi pu éliminer plus de 100 souris.  Tous les moyens sont bons pour sauver ce qui peut l'être ! Après les céréales, les rongeurs s'attaquent maintenant aux plants de pommes de terre. En août, il y a eu enfin un peu de pluie. Comme la production de lait baissa, le prix du lait grimpa, ce qui explique un peu la tentative de fraude d'Aloïse HIRN citée plus-haut.

Et ça n'a n'a pas loupé ! À Colmar, se déroule, devant le tribunal correctionnel, le procès de Marie BÉHA. Elle est soupçonnée d'avoir empoisonné son mari avec du raticide à la strychnine de la marque Lyntlor. Elle a pu s'en procurer aisément vu les circonstances (appelée Elfersépele par le commun peuple, la soupe de onze heures est l'arme fatale des femmes). La tentation était trop forte ! Marie BÉHA est condamnée aux travaux forcés à perpétuité.

Dans la commune de Geutertheim, une prime, pour chaque souris détruite est votée. En quelques jours, les élèves du lieu attrapèrent 12 000 rongeurs. À Epfig, les rongeurs ont aussi dévoré la semence d'hiver, à même la terre. La récolte sera catastrophique. Les champs de trèfles sont détruits. À Mittelbergheim, pourtant situé un peu plus haut, les rongeurs ne sont pas non-plus restés inactifs.

À Valff, la situation est similaire mais ... beaucoup d'agriculteurs ont dans leur réserve un stock conséquent de raticide ! Incroyable, quelle prévoyance ! 😂

Juillet. Après le départ à la retraite du curé Louis SPEHNER est nommé à sa place le curé de Reuholtz (Neubois), Henri FALLER. 

18 octobre. Une vache, un cheval et quatre cochons a été carbonisé après l'incendie de deux granges et de séchoirs à tabac. Un deuxième cheval ainsi que de nombreux bovins devront être euthanasiés. L'agriculteur A. ROSFELDER et son voisin Joseph LUTZ ont subi de grandes pertes et sont peu assurés. La cause du sinistre est inconnue.

Novembre. Le Conseil municipal de Valff porte sa désapprobation auprès du Conseil municipal de Barr concernant le nouveau projet qui consiste de détourner la ligne prévue de la ligne de tramway Strasbourg via Meistratzheim directement vers Obernai, ligne qui devait passer initialement à Valff. Hélas, le tramway ne passera jamais à Valff.

24 novembre. Un gros sanglier de plus de 100 kg, s'est promené tranquillement dans les rues du village. Lorsqu'il aperçut le garde-chasse, il a jugé plus prudent de se tirer en direction de Goxwiller.

Les années suivantes seront encore plus mouvementées. Suite au prochain numéro !

Publicité dans le Strasburger Neue Zeitung de 1920 : le sucre est vendu à 4 francs 95

(1) En 1920, le sucre était encore rationné. Les cartes de rationnements limitaient la distribution de sucre à 750 gr par personne et par an. Les enfants de moins de 2 ans et les personnes de plus de 70 ans pouvaient espérer recevoir, au mois de janvier,en rétroactif, les mois de novembre, décembre et janvier, soit 250 gr par mois. Les personnes vulnérables comme les personnes handicapées étaient prioritaires. Le sucre devait être commandé à l'avance chez l'épicier qui était fournit selon un ordre alphabétique. Le sucre était acheté pour les grossistes à 2,93 frs le kilo et pour les épiciers à 3,10 frs le kilo. Les épiciers devaient récupérer eux-même le sucre dans une des centrales de distribution à Strasbourg. 1 franc en 1920 équivalait, en pouvoir d'achat, à environ 1 euro d'aujourd'hui. Les cartes de rationnement limitaient le lait à 1/4 de litre et pour les enfants et les personnes fragiles à 1/2 litre. De nombreux trafics de sucre et d'autres denrées ont défrayé les chroniques de ces premières années d'après-guerre. 

Sur la photo, dans la foule, une habitante de Valff devant un poste de distribution alimentaire à Mulhouse

Sources :

  • Archives de Valff
  • Fond Antoine MULLER
  • Gallica

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.