Le Bergenland (crédit : norwayheritage)

Dans l'article précédent Georges SCHULTZ envoyait des nouvelles encourageantes de Cincinnati en Amérique. C'est sa seule lettre dont nous disposons. Son frère Edouard a, quand à lui, envoyé bien plus de courrier. Elle fait partie d'un total de 15 lettres que nous avons le plaisir de vous faire découvrir.

Tout comme Georges, Edouard envoie son courrier à son beau-frère Antoine HIRTZ et à sa soeur Marguerite. Cette première lettre date du 24 novembre 1892. Il se pourrait que ce soit la première nouvelle depuis son arrivée en Amérique.  Il écrit en s'adressant directement à Antoine son beau-frère :

Cher beau-frère

Je prends la plume pour vous parler de ma traversée au-dessus de l'eau. En ce qui me concerne, je suis en forme et espère que ma lettre vous trouvera également en bonne santé. Cher beau-frère et sœur. Après 2 jours sur la mer j'avais déjà attrapé une maladie ( il semble qu'il ne connaisse pas le mal de mer ). Pendant les 2 jours suivant je n'ai cessé de vomir. Les 6 jours suivant je n'ai rien pu avaler puis la maladie est revenue. Nous avons navigué pendant 14 jours dont 5 ou 6 jours de tempête où le navire n'a plus pu avancer. Nous pensions tous que le navire allais couler et que s'en était fini de nous ! L'eau montait et giclait plus haut que le bastingage. Parfois 4 à 6 personnes tombaient des lits tant le vent ballottait le navire violemment d'un côté à l'autre. Comme nous étions heureux de pouvoir rejoindre sains et saufs la terre ferme ! Deux jours avant d'arriver, une femme est morte. Elle a été enterré (begraben) dans la mer. 

Sachez aussi que nous étions 14 alsaciens à bord : une femme et ses 4 enfants du pays de Hanau, 1 de Schiltigheim, 1 de Wierscheim. Après mon arrivée j'ai encore dû voyager 2 semaines et 1 jour pour retrouver mes frères. Ils ont attendu jusqu'à 1 heure du matin en vain, car je ne suis arrivé que le lundi matin à 9 heures. C'est la femme de George qui m'a accueilli accompagnée de ses 2 enfants. Elle m'a tout de suite reconnu et m'a demandé si j'étais le Schultz. Je lui ai répondu par l'affirmative et elle m'a confié qu'elle avait reconnu comme un air de famille avec son mari. Hier soir nous sommes allé voir nos frères Pierre et Joseph. 

Lorsque nous sommes arrivé chez Pierre, il venait tout juste de finir son travail. Tous les 3 sommes alors partis chez Joseph qui finissait son travail à 18 heures et avons visité  Cincinnati. Je n'ai pas encore trouvé de travail. Joseph m'a dit d'attendre samedi , jour plus propice. 

Je pense à vous écrire à nouveau dès que l'occasion me le permettra. Tu pourras dire à Marie et à Auguste que dès que j'aurai gagné de l'argent je le leur en enverrai sans faute. 

Cher beau-frère, dès que tu récupéreras l'argent que je t'enverrai, va voir le KLEIBER et va lui payer les 5 Marks que je lui dois. J'en profite pour vous souhaiter la bonne année et une longue vie. Lorsque vous recevrez ma prochaine lettre le Nouvel An sera sûrement passé. Vous pouvez dire à Dina LORENTZ que j'ai remis son paquet à Louis HIRTZ deux jours après mon arrivée. 

Ici, il fait très froid. Les fenêtres sont gelées jusqu'en haut. La femme de George est très gentille avec moi, Joseph et Pierre. Elle me demande de vous remercier vivement pour le Schnaps et les autres choses que vous m'aviez donné pour elle. 

Je termine maintenant cette lettre et nous vous embrassons mille fois, Edouard, Joseph, Pierre et George, sa femme et ses enfants. Vous pourrez saluer toutes mes connaissances et aussi Ortzel, Gettel et Stéphane. Ecris moi ce que fait Joseph et Hansel et si je ne leur manque pas trop. 

Mon adresse : Edouard SCHULTZ, chez Georges SCHULTZ, 35 Marshall Avenue Camp, Washington Cincinnati Ohio

Quelles informations pouvons nous extraire de ce récit :

  1. Nous savons que George était en Amérique depuis un certain temps puisqu'il est marié et père de famille.
  2. George, Joseph et Pierre sont tous déjà installés à Cincinnati. 
  3. On apprend la présence d'un Louis HIRTZ de Valff à Cincinnati.

La curiosité me pousse  à rechercher le nom du bateau qui amena Edouard à New-York. Ce fut un sacré fut challenge. Recherche sur Free Family History and Genealogy Records et c'est parti!  Et la persévérance a payé ! Après avoir remis mes yeux qui manquaient de se décrocher de leur orbite à force de lorgner des listes interminables, je découvre le SS Belgenland. Le capitaine s'appelle E Bence.

Arrivée à New-York le 19 novembre 1894. Le nombre des passagers s'élève à 575 personnes dont 120 en cabine salon et 455 dans l'entre-pont. Les cabines premières classes salons sont essentiellement occupées par des américains et des allemands. On y trouve pêle-mêle, un révérend pasteur, Miss Eva GARTH artiste, des marchands, des physiciens allemands et américains, le photographe belge Léon VAN LOO qui s'installera à Cincinnati, le brasseur allemand Johann BURKHARDT ou l'ingénieur belge DELACROIX qui voyage du Caire à Chicago, et ... dans l'entre-pont Edouard SCHULTZ, 24 ans, fermier de Valff en destination de Cincinnati.

Le Belgenland est un navire à vapeur de la Red Star Line de 303 mètres sur 40 et de 3692 tonnes de charge. En compagnie d' Edouard voyage  un habitant de Schiltigheim de 19 ans du nom de Emile ROHDE, qu'Edouard  mentionne dans sa lettre. Lui aussi a pour destination Cincinnati. Quelques alsaciens  sont regroupés : on note le tailleur Phillippe HEINRICH, 25 ans de Weiersheim, et la servante Josephine DIRMANN, 54 ans de Strasbourg. Edouard mentionne la présence d'une femme que l'on a jeté par dessus bord après son décès (...). Son nom est Bernardi Riva GIULIA, italienne de Milan, servante, âgée de 27 ans. Elle voulait se rendre à New-York. La cause du décès constatée : pneumonie. Un voyage qu'elle n'avait sûrement pas imaginé un instant se terminer dans la mer !

Edouard est le dernier des frères SCHULTZ à rejoindre les USA. Que savons-nous du voyage de George, de Jean Pierre et de Joseph ? La suite dans le prochain épisode !

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.