Mémoires d'un bourreau par Meister Hans FURCHT, bourreau officiel du bailliage d'Obernai et de Niedernai de 1621 à 1634.

Aujourd'hui je suis en route vers la « Galgen Matt » (pré du gibet). C'est le lieu d'exécution de cette pauvre sorcière qui vient d'être condamnée à mort. Le lieu se trouve à l'angle des communes de Niedernai, Goxwiller et Valff près de l'Oberholtz, appelé aussi Schinderacker (champ du bourreau). Qu'est ce qu'il fait froid ! Vivement la saint Adrien, patron des bourreaux car comme dit le dicton: A la saint Adrien on ne gèle que les mains ! En ce moment il n'y a pas de chômage chez nous, les bourreaux. Partout en Europe la chasse aux sorcières à la cote.

Je n'aime pas ce que je fais ... mais il faut bien que quelqu'un le fasse ! En plus, je ne suis pas aimé, les gens ont peur de moi ; c'est pourquoi je me suis marié avec la fille d'un bourreau ... et on est bourreau à Obernai de père en fils. La famille FURCHT exerce ce métier depuis trois générations. Ce qui me fait le plus de peine, c'est que je suis obligé d'habiter à l'extérieur des remparts de la ville, vous vous rendez compte ! Moi, un « exécuteur des  hautes œuvres » comme ils disent. Quand je vous dis que je suis mal aimé !

J'aime bien cette appellation, je déteste que l'on m'appelle bourreau ou en allemand : Scharffrichter, ou Nachtrichter. Ici, ils disent Henker, Schinder ou Freimann. Le greffier m'appelle Meister … ça j'aime ! Il est bien le greffier. Finalement, j'ai fière allure avec mon casque rouge, mes chausses et le maillot couleur rouge sang. On s'écarte à mon passage ! Heureusement, j'ai d'autres occupations : équarrissage des animaux trouvés morts, capture des chiens errants, ensevelissement des suppliciés et  suicidés et ... nettoyage des cloaques. Et puis il y a mon salaire !

Parlons salaire. Ils pourraient un peu m'en donner plus, les grands, déjà qu'ils se partagent les biens confisqués aux condamnés à mort.  Je suis rémunéré d' un salaire fixe, plus les extras :

  • pendre et étrangler : 60 sols
  • pour chaque personne brûlée et consumée en cendre : 1 écu et 20 sols
  • arracher la langue : 40 sols
  • trancher la tête : 1 écu et 20 sols
  • pour rompre sur la roue : 1 écu et 40 sols et le double si je mets le corps en quartier pour l'exposer aux 4 coins de la ville
  • pour bouillir une personne : 1 écu et 20 sols
  • plus les avantages en nature : le logement, un setier de blé à la Noël et à Pâques
  • et le droit de havage : c'est le droit de prendre chez les marchands et forains des grains, fruits ou autre marchandise autant que la main peut tenir. Les commerçants ainsi ponctionné, je les marquent d'une croix à la craie.

Vu que 1 écu vaut 60 sols et qu'avec 1 sol je peux m'acheter 2 kg 500 de pain je gagnerai donc aujourd'hui ... au moins 200 kg de pain ! Mais là pour le moment je n'ai pas envie de pain, j'aurai plutôt besoin d'un remontant. Je papote, je papote, mais c'est pour oublier un peu les derniers jours que j'ai passé à torturer.

Figurez vous ! D'abord on m'a amené cette femme dans la salle du château de Niedernai. Elle s'appelle Margareth et est la veuve de Mathis CUNTZMAN de Meistratzheim. J'apprends qu'elle est accusée par un certain Caspar ANDRES d'être une sorcière.

En présence de Sigmund WOLFF et Jacob DE LANDSBERG, du greffier et du receveur elle a été interrogée et suppliée avec bonté à avouer. Malgré cette élan d'humanité elle a tout nié ; Sigmund lui a dit que ce n'est pas une honte de retrouver la grâce de Dieu en reniant le méchant ! Pourtant elle a persisté et vigoureusement soutenu n'avoir rien fait de mal.

C'est là que l'on m'a demandé d'intervenir. Je lui ai déshabillé le buste ... et stupeur ! Que trouve t-on ? La marque du diable sous l'épaule gauche ! C'est un gros grain de beauté (Muttermal). Je pique la marque avec une aiguille … Le sang ne coule pas ! La preuve est faite, c'est une sorcière (ce procédé est décrit dans le Malleus Maleficarum, livre du mode d'emploi des procès de sorcelleries au Moyen âge). Illico, elle est emmenée dans la chambre des tortures au château.

Lundi 1er février 1627

Je la déshabille en présence du greffier et de Sigmund. Elle est attachée par les bras et hissée à l'aide d'une poulie. Elle n'a ni pleuré ni s'est plainte, elle s'est même payée le luxe de sourire. Lorsqu'on lui a fait remarquer qu'elle ne réagissait pas comme une femme elle a rétorqué : « Coupez moi la tête, je n'en ai que faire ! ». Sur ce, après l'avoir laissé pendue là, je suis parti boire un petit coup puis on a décidé de la raccompagner dans la Stub du château pour qu'elle rumine jusqu'à mercredi en attendant les affaires sérieuses.

Mais personne ne dort tranquille … et si le diable se vengeait sur nous ? Mais je me rassure car le Malleus maleficarum (marteau des maléfices) explique bien que c'est parce que nous sommes du côté de Dieu, nous sommes donc protégés.

Certains de mes collègues déboîtent les articulations, sectionnent des ligaments ou flagelent. D'autres utilisent le Daumenstock, une espèce de planche de bois munie d'une vis que l'on resserre sur le pouce ou utilisent des tenailles chauffées à blanc pour pincer les chairs. Moi je suis partisan de méthodes plus humaines ... quand même.

Mercredi 3 février 1627

Confrontée à Caspar ANDRES celui ci dit que l'on devait seulement la laisser mourir courageusement et que si elle ne recevait pas la punition qu'elle mérite c'est sur lui que devait tomber ses péchés et que c'est lui que l'on devait mettre à mort. Quel juste homme !

A la question de ce qu'elle a fait au fils de Caspar ANDRES, elle répond qu'il était debout qu'elle lui a seulement caressé les jambes parce qu'il avait du mal à marcher et que quelque temps plus tard il a été paralysé. De toute façon elle ne se souvient plus de rien ! Cela s'est passé depuis si longtemps !

On décide de l'emmener en salle de torture. Déshabillée puis liée sur une planche , elle est pendue en extension. Les ligaments craquent, le corps est étiré. Le temps joue pour nous. La douleur deviendra de plus en plus intense !

Mais elle, têtue comme une mule, dit ne rien avoir à faire avec le diable et rétorque que l'on pouvait la déchirer en morceaux quand on voulait. Même pendue pour la troisième fois de la journée et après l'avoir chargé d'une pierre aux pieds elle nie l'évidence. Décrochée elle est renvoyée pour le lendemain.

Jeudi 4 février 1627, matin

Sigmund la conjure de se tourner vers Dieu. Comment elle a bien pu se faire piéger par le malin.  Elle se contente de rire lorsqu'on la menace de ramener d'autres témoins. Elle répond qu'elle se doute bien le type de témoins on allait trouver. Je la torture encore et encore … et enfin, elle avoue. Enfin ! J'ai du mettre le paquet !

Elle a failli me faire perdre mon humanité. Elle explique qu'il y a environ neuf ans le méchant esprit est venu chez elle à la ferme dans la ressemblance de son mari et elle a eu des relations immorales avec lui. Elle précise qu'il était de nature ... froid comme de la glace. Il est revenu 2 jours plus tard. Il lui a demandé de renier Dieu et tous les saints, ce qu'elle a fait. Pour la récompenser il lui a proposé de célébrer avec elle leur mariage. Il a eu  lieu à l'extérieur du ban de Meistratzheim près du pont de pierre à côté du grand chêne, à la limite du ban de Valff.

Qu'est ce que tu as vu à ce mariage ? Qui y était présent ? Comment s'appelle ton amant diabolique ? Elle révèle que c'est un mariage normal avec un banquet sans sel et sans pain et qu'il s'y trouvait encore deux autres personnes qu'elle refuse de dénoncer. C'était dur ! Il a fallu presque lui souffler les réponses et la piéger par des questions à répétitions, Le tout assorti de quelques étirements supplémentaires, quelques petits déboîtements d'articulations, je l'ai usé par la douleur et la fatigue ...

Jeudi 4 février 1627, après-midi

Pour lui extirper les noms des personnes présente à son mariage … il a fallu crier ! Voici les noms : Michel KORMAN et sa femme Maria, et des personnes de Bischoffsheim. Puis elle avoue le nom de son amant diabolique : Storcklein FUSS (pied de cigogneau). Et les questions classiques :

  • A qui as tu fais des dommages ?
  • Quels animaux as tu tué ?
  • Combien d'intempéries as tu causé ?

Elle raconte qu'en allant à Valff acheter un cochon elle a rencontré une fillette du nom de Els dont la mère habite près du château et qu'elle a paralysé au nom du diable, et elle est morte peu après. Pendant la guerre de Mansfeld (guerre de Trente Ans), elle a caressé un enfant de 10 ans à Obernai qui est mort. Il y a 3 ans, elle a tué la fille de Hans KUEN âgée de 20 ans à Bischoffsheim. Elle a touché la main de la fille de sa sœur jusqu'à ce qu'elle meure. Elle a tué une femme de Krautergersheim au nom du diable chez qui elle voulait acheter des plants de choux.

Après la guerre de Mansfeld, elle a tué une truie rouge, puis un poulain, un veau et une vache rousse de 2 ans. Elle a aussi participé il y a 6 ans à une danse satanique à Bischoffsheim sous le tilleul, en chevauchant son chat au nom de Storcklein FUSS et est revenue en volant ... sur le chat ! Je savais qu'elle finirai par dire la vérité. Je connais mon métier.

La Guerre de Trente ans en Alsace

Vendredi 5 février 1627

Présentée plusieurs fois à Sigmund et encore pendue avec des lests, elle est sommée de révéler les noms de ses complices sorcières. Elle parle de Catherine METZ, nommée Cath, la veuve de Hans MEISTRATZHEIM, le Schultheiss.

Elle a aussi été invitée au mariage satanique de Catherine dans la forêt de Valff, lieu qu'elle a rejoint en volant sur son chat. Était présente Salomée, la femme de Rippen LIENHARD. Les charges étant suffisamment avérées, ayant avoué et prête de passer de vie à trépas, elle a été conduite devant la Besiebung (Conseil de sept témoins) où lui sont lus les différents chefs d'accusations. Ensuite, on l'a présenté devant 15 juges dont 7 Schultheiss et des membres du tribunal de Niedernai et de Meistratzheim. La population est en effervescence ! Sera t-elle brûlée ? Y aura t-il du spectacle ?

Elle a finalement été traîné devant la famille de Landsberg et leurs avocats, reconnue coupable de sorcellerie et présentée au Juge des Maléfices (Malefitzrichter). Celui-ci en vertu des droits Inquisitoires qui lui sont conférés a condamné Margaret CUNTZMAN de Meistratzheim à être cintrée d'un corset en fer chauffé au rouge autour de la poitrine et de la main gauche. Elle sera brûlée sur le bûcher, réduite en cendres et les cendres seront réduit en poudre et la poudre devra être enfouie ... afin que les restes ne puissent plus faire de tort, ni aux animaux ni aux hommes !

Après avoir fait appel du jugement, Margareth a bénéficié de la mansuétude du juge. Ce dernier, dans sa grande bonté a permis qu'elle soit d'abord décapitée puis brûlée aujourd'hui, en l'an de grâce le lundi 8 février 1627.

Épilogue

La narration du bourreau est une fiction, mais les faits présentés sont exacts et réels. Ils sont consignés dans le Malefitzbuch de Niedernai conservé aux archives de la Région Grand Est à Strasbourg. Ayons une pensée pour ces hommes et surtout à ces femmes qui ont subi l'acharnement et l'obscurantisme. Ce qui frappe, c'est avec quelle détermination les bourreaux (le système judiciaire au complet) étaient convaincant et convaincus. Le pire est que l'on avait recueilli les noms de soi-disant complices ... et le jeu de massacre pouvait continuer !

On estime à 100 000 le nombre d'exécutions en Europe. La cruauté n'a pas de frontières. On retrouve les mêmes types d'aveux absurdes avec des variantes dans tous les procès. Les inquisiteurs suggéraient les réponses et après les aveux s'en retournaient chez eux avec la bonne conscience et fierté d'avoir servi Dieu et le bien !

« Un sage se distingue des autres hommes, non par moins de folie, mais par plus de raison »

Emile CHARTIER

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