Aimez vous les jeux de pistes ? Je vais vous raconter comment, avec un simple clic, la quête du chercheur peut dénouer une pelote de l'histoire. Les archives historiques sont, comme jamais, accessibles aux chercheurs. L'outil informatique est passionnant, l'information est à portée de touches. Ce fut le cas de l'histoire que nous allons vous raconter.

Tout débuta avec la découverte par hasard du site hoteldesinvalides.org. Des archivistes ont eu l'idée sympathique de publier en ligne la liste de malades admis dans cet illustre hôpital des armées à Paris. Afin de porter assistance aux soldats invalides, Louis XIV décida en 1670 de faire construire un bâtiment « ... pour que ceux qui ont exposé leur vie et prodigué leur sang pour la défense de la monarchie (...) passent le reste de leurs jours dans la tranquillité ». Il s'agissait en fait, pour le Roi, de débarrasser les rues et les places de tous ces anciens et vieux soldats errants, déambulants sans buts, mendiants et voleurs, ivrognes et querelleurs. Une partie fut envoyée dans des abbayes avec tous les avantages que l'on y prodigait avec la rigueur et la morale monacale. Pas besoin de préciser que les désertions se firent à la pelle !

C'est ainsi qu'apparait dans mes recherches, le nom d'un interné originaire de Valff : « Reçu à l'hôtel le 2 novembre 1758 Johannes ROSFELD, allemand, âgé de 48 ans natif de Valff près Strasbourg, sergent au Régiment Royal Suédois, compagnie de hebé, a Servy 24 ans tant dans le dit Régiment que dans celui de Wittmer Suisse dont 14 ans Sergent, oppressé de la poitrine, est Catholique. Bas officier ». 

Le réfectoire de l'hôtel des Invalides

On tente de dérouler le fil de son histoire ? Nous avons une date, 1758, et un âge, moins 48 ans, ce qui nous amène vers les années 1710, date éventuelle de sa naissance. Un Jean ROSFELD né à Valff à cette époque ? Négatif ... Jean ROSFELDER alors ! Des Jean ROSFELDER il y en a, mais aucun est né à notre date. Voyons les registres de décès alors. Bingo ! Le 9 janvier 1765 décédait à Valff Jean ROSFELDER, militaire à la retraite, fils de Jean et Catherine DIEHL. Le reste n'est qu'une formalité. Dans les registres de baptêmes est enregistré le 20 juillet 1712, Jean Jacques, fils de Jean dit le jeune, agriculteur, et d'Anne Catherine DIEHL.

Quel était ce fameux Régiment Suédois et Suisse. Là encore le Net est une mine à portée de clavier. On peut donc lire: Le Régiment Royal Suédois était un régiment d'infanterie légère incorporé dans l'armée française sous l'Ancien Régime. Il a été créé en 1690 à partir de prisonniers suédois pris lors de la bataille de Fleurus. Il était dirigé par des d'officiers suédois, cependant la plupart des soldats et des sous-officiers étaient d'origine allemande. Initialement appelé « Lenck Regiment », il fut rebaptisé Régiment d'Appelgrehn en 1734 et Royal-Suédois en 1742. A partir de 1750 le Régiment se reconnait par ses manteaux bleus foncés avec des cols st des manchettes brun-jaunes. Classe non ?

Durant les années 1730, le Régiment Royal Suédois est stationné en Alsace comme étant appelé le régiment WITTMER Suisse. Son colonel-propriétaire WITTMER engage tous volontaires. L'unité vient d'être décimée pendant la campagne d'Italie. Est-ce à cette époque que notre ROSFELDER décida de s'engager ? Une prime supplémentaire est versée aux beaux garçons mesurant plus de cinq pieds. Edouard ROUBY en parlant des Régiments Suisse dans « En passant par Soultz » note : « Le recrutement se fait parfois de façon brutale et peu honnête. Il y a des enrôlement de force, parfois sous l'effet de l'alcool. Une fois enrôlé, le militaire est le soldat de tel ou tel colonel ou capitaine. Avant 1763 un enrôlement de six ans est gratifié de 75 livres. L'engagement est renouvelable. Souvent endetté, les soldats n'ont d'autre choix que de rempiler. Une partie de la solde est retenue pour la caisse des retraités mais payable seulement après 24 années de services. Servant la France, le Régiment est garanti d'être dispensé d'impôts et d'un solde payé régulièrement. Les soldats sont généralement célibataires. Comment entretenir une famille si on est si souvent en campagne ? ». Jean ROSFELDER décéda célibataire. Le 5e Régiment dont dépendait ROSFELDER a été créé en 1734 et appartenait à André WITTMER du canton des Grisons en Suisse. Partant du grade de lieutenant, WITTMER en devint colonel-propriétaire et poussera au grade de Maréchal de camp en 1740. « Un corps de Suisses est dans l'armée ce que les os sont dans le corps humain, non seulement par leur valeur, mais surtout par leur discipline et patience, qui ne se découragent par aucun revers ni retardement », déclara le Maréchal Charles de SCHOMBERG (1601-1656).

Théoriquement Jean ROSFELDER a pu participer à la guerre de succession de Pologne et la bataille de Phillipsbourg en 1734. En récompense de sa fidélité lors de cette bataille, Louis XV honora le Régiment Suédois du nom de Royal. La guerre de succession d'Autriche en 1747 est un autre champ de bataille où il aurait pu s'illustrer. Jean ROSFELDER, le mercenaire du Roi est ainsi passé à la postérité avec son compatriote Jean MARTZ, également enrôlé quelques années plus tard dans un Régiment similaire celui de La Marck, ou comme ses cousins Blaise et Antoine ROSFELDER, tous deux militaires des armées d'Alsace.

Je ne regarderais désormais plus les films genre Fanfan la tulipe du même oeil. A chaque scène j'essayerai de voir dans le rang des figurants un certain ... Jean Jacques ROSFELDER !

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.