L'équipage d'un Sherman M4A3 (76) W de la 14e Division blindée « Libérateurs » à Rittershoffen le 4 mars 1945

Ce lundi, alors que la dernière cuisine roulante, en stationnement devant la maison de Léon SCHULTZ, a quitté les lieux en direction de Zellwiller, le pont sur la Kirneck menant à ce village est détruit par les Allemands. Les préparatifs pour faire sauter le pont étaient en place depuis trois jours. Le 48e Bataillon de chars part de Schirmeck avec le 3e peloton de la compagnie B, 94e troupe de reconnaissance, en tête. Ce jour, toute ma famille est à table pour le déjeuner. Mon père me raconte que les alliés sont proches et que la libération est éminente. Je fais la réflexion suivante : « Mangeons vite la soupe avant que l'événement ne se réalise ». Tout à coup, le bruit de l'explosion d'un obus de canon ou autre nous chasse de la table. Aussitôt, il faut nous mettre à l'abri prévu dans la cave de l'école des filles, déjà aménagée le jour avant. Il s'agit de la partie de la cave sous l'escalier non munie d'ouverture vers l'extérieur. En vitesse, nous remplissons le panier à linge avec des denrées stockées au magasin d'alimentation que tient mes parents et fermons les volets du magasin. Nous avons donc des provisions pour quelques jours.

Il est 13h25, le 48e bataillon de chars de la 14e DB US du 15e corps d'armée, venant de la vallée de la Bruche, progressent depuis une bonne heure avec une quarantaine de véhicules blindés et deux bataillons motorisés vers notre village. Ils empruntent la route de Goxwiller. A Valff, le 94e attire le feu sur lui et les chars du 48e avancent. Le sergent Charles SMALL, compagnie A, est en tête ; son char médium passe en grondant devant les jeeps et véhicules blindés du 94e et entra dans le village. Le char est touché par un panzerfaust et mis hors d'action. Raymond POLANOSKI (le conducteur) est tué et les autres blessés, à l'exception de SMALL. SMALL descend en sautant du char et part. Comme il ne voit pas son équipage derrière lui, il retourne vers le char, un obus explose près du char et il est tué. Le sergent William E. Mac CAULEY passe en tête, les hommes du capitaine Daniel IANELLA (compagnie, 62e bataillon d'infanterie blindée) sont sur tous les chars sauf celui de tête, prêts à tirer.

Au centre du village des soldats tirent sur le char de Mac CAULEY mais il riposte avec sa mitrailleuse. En arrivant à la lisière du village, à un virage, il voit un barrage avec des soldats ennemis. A cet instant son conducteur fait glisser le véhicule de 35 tonnes dans le fossé pour être à couvert, les Allemands vont se cacher derrière un calvaire sur le coté de la route. Mac CAULEY ordonna au caporal HAMMAN de tirer. « C'est un calvaire », dit-il. « C'est un bloc de pierre avec des Boches tout autour », répliqua Mac CAULEY. Le canon crache et les ennemis disparaissent. La colonne avance.

En quittant le village sur sa gauche il voit la tête d'un Allemand apparaître au-dessus d'une butte. Il tire avec son calibre 30 et la tête disparaît. Mais elle réapparu un instant plus tard. Il tire et la tête disparaît à nouveau. Elle réapparu une troisième, puis une quatrième fois. C'était trop, Mac CAULEY s'arrête et alla voir ; dans un fossé, il voit 4 Allemands morts ! La colonne avance alors. De notre côté, l'attente dans la cave nous semble très longue ... Ma soeur, Hélène, très courageuse, et moi montons au grenier de l'école pour observer par une petite fenêtre l'avancement des véhicules blindés.

A 14h30, les premiers chars américains venus en force sont à notre vue à la hauteur du restaurant « Au Soleil ». Nous avons aussitôt rejoint les occupants de la cave, il y a avec nous la famille GRUBER et Monsieur Pierre ROHMER. Dans la cave attenante, appartenant au directeur d'école, se réfugient les familles Paul SAAS et Louis GUGUGMUS ainsi que les autres membres de la famille Emile ROHMER. Deux bataillons motorisés d'infanterie entrent au village, tirant au passage de nombreuses rafales de mitraillette en direction des maisons de la rue principale dans le but de détecter des éventuelles ripostes de l'ennemi caché de part et d'autre. Notre maison est aussi la cible de ces rafales et de quelques coups de fusil qui traversent littéralement les fenêtres et les portes intérieures.

Pendant cette même journée, l'activité militaire du 40e R.A.N.A. de la 2e Division Blindée n'est pas restée inactive. Les préparatifs : le 1er escadron du R.M.S.M. nettoie Krautergersheim et Niedernai où il faisait 40 prisonniers. La 2e batterie du 40e R.A.N.A. reçoit l'ordre à 15h00 de renforcer le sous-groupement MINJONNET. Ils prennent contact à 15h15, l'équipe de liaison est prête à 16h00 et rejoint la colonne sur la route à 16h30. A 17h30, la batterie arrive à Duppigheim où elle passe la nuit. Le Sous-Groupement MINJONNET est mis à la disposition du Groupement RÉMY. Le Lieutenant-Colonel MINJONNET et l'officier de renseignement prennent contact à 20h00 avec le Colonel RÉMY à Breuschwickersheim. Stationnement dans la soirée : 3e escadrons R.C.A., 7e compagnie R.M.T., P.C. Sous-Groupement MINJONNET à Duppigheim. Le reste du Sous-Groupement à Entzheim. Le Sous-Groupement MOREL-DEVILLE se poste à Obernai.

Vers le soir, tout le village est occupé. Quelques soldats allemands sont faits prisonniers et sont retenus dans un local de la mairie pour être relâchés le lendemain matin. D'autres se sont, en grande partie, repliés en direction de Zellwiller. Les chars américains sont alignés l'un derrière l'autre sur toute la traversée du village. Nous sommes restés toute la nuit dans la cave par peur d'être pris pour des ennemis. Dans cette même nuit vers 23h00, il y a un brouillard à couper au couteau, tous les chars américains se retirent sur Obernai pour une autre mission.

Valff semble être abandonné par ses libérateurs. Dans la nuit, un incendie se déclare dans la propriété de Monsieur Joseph DIEHL au n°276, rue basse. La maison d'habitation et les annexes ont été anéanties. L'origine du sinistre serait dû au cantonnement de soldats allemands dans la grange.

A suivre ...

Retrouvez le journal de libération de Valff, jour après jour :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.