Cincinnati dans l'Ohio aux États-Unis d'Amérique. Une ville qui est mentionnée tellement de fois comme destination des émigrés alsaciens de Valff. Voilà qu'apparait un VOEGEL dans la longue liste des noms de famille : c'est Joseph. Le texte est explicite : il est né le 12 septembre 1852 à Walff, célibataire, il a tenté l'expérience américaine, mais désire maintenant retourner en France pour s'engager dans l'armée. Nous sommes le 20 septembre 1873.

Joseph VOEGEL

Joseph est le fils du laboureur Jean-George et de son épouse Schultz Marie-Anne. La famille habite aux n°82 ou 83 de la rue du Moulin. Le couple a eu sept enfants dont trois sont morts en bas-âge. 

Recensement de 1861

En 1861, Jean George, le père, décède brusquement à seulement 53 ans. Joseph n'a que huit ans et Marie-Anne doit désormais subvenir seule aux besoins de ses cinq enfants. Vers la fin de sa vie, elle s'installe dans la ferme familiale en compagnie de quatre de ses enfants, tous célibataires, dont Joseph, revenu des États-Unis, dans la maison n°105 de la rue Principale. 

Le voyage

C'est le 17 octobre 1872, après l'annexion de l'Alsace, qu'une délégation de jeunes alsaciens, autour de la vingtaine, entame la traversée de l'Atlantique à bord du navire HELVETIA en départ du Havre via Londres et accoste à New-York, afin d'éviter l'enrôlement dans la très aimable armée prussienne. On y retrouve Joseph, MULLER Jean-George, SPECHT Jean-George, RAUEL Xavier, SAAS, des noms coutumiers à Valff, mais est-ce bien eux ?

Le voyage n'est pas de tout repos, même pour ces jeunes, habitués à la dure vie agricole. Un certain Nicolas WEISS de 21 ans, décède des suites d'une méningite, tout comme le petit Charles de deux ans, fils des alsaciens Grégoire et Catherine GREDER ou la petite Louisa de 11 ans, décédée dans sa cabine. Le navire a été rallongé en 1877 pour pouvoir transporter, en fond de cale pour la plupart, plus de 1250 passagers. 

Joseph n'embrassera pas de carrière militaire. Il décèdera le 28 janvier 1920 à Valff. Il est resté célibataire, tout comme son frère, George, décédé la même année en décembre. Son expérience américaine aura été un petit divertissement de jeunesse.

Les compagnons de voyage

MULLER Jean-George 

Des MULLER George, même à Cincinnati, sont nombreux comme les grains de sable de la mer. Le MULLER de Valff est né le 24 avril 1849. Il est fort possible que l'on ne pourra jamais prouver avec certitude que le compagnon de Joseph Voegel est né à Valff. 

SPECHT Jean-George

SPECHT Jean-Georges de Valff est né le 24 octobre 1853. Là également, rien n'indique formellement qu'il s'agit de la même personne.

RAUEL Xavier

Un prénom et un nom moins commun permettront peut-être d'avoir plus de chance ! Mais non ! Lui aussi disparait dans les méandres des documents. 

Les amnésiques

SAAS est bien un nom courant à Valff. Comment voulez-vous prouver qu'il s'agit d'un enfant du pays, si ce dernier ne sait même plus où il est né ? Prenons le cas d'Auguste. Un document de demande de naturalisation édité en 1896 indique né à ???  La seule piste est sa date de naissance : 15 mai 1866. Cette date n'a pas vu naître de SAAS Auguste à Valff. Les registres d'État civil français sont des sources tellement précieuses que les généalogistes d'autres pays nous envient. Merci Napoléon ! 

Les valeurs sûres

Rien de mieux que de voir apparaitre dans un document le nom de Valff. C'est le cas de la demande de naturalisation de Valeria SEMEL.

Voici les détails du document :

ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
Demande de citoyenneté

À l'honorable tribunal du district sud de New York (NY), la requête de Valeria Semel, résidant au 154 East 55th Street, New York, NY, déclare respectueusement ce qui suit :

  • Je suis née à Walf, France le 27 février 1886
  • Ma nationalité actuelle est française
  • Ma profession est femme au foyer
  • Je suis arrivée aux États-Unis le 19 mai 1925, par le port de New York, NY, à bord du navire München
  • Je réside aux États-Unis depuis cette date, en continu, et dans le district sud de New York depuis le 19 mai 1925
  • Je me suis mariée à William (nom de famille non mentionné ici), né à Gera, Allemagne le 22 novembre 1887
  • Nous nous sommes mariés le 17 février 1920 à Haddoanen ? Allemagne
  • Il est arrivé aux États-Unis le 19 mai 1925, par le port de New York, NY, pour y résider en permanence
  • Il habite avec moi au 154 East 55th Street, New York, NY
  • Ma dernière résidence à l'étranger était à Walf, France
  • J'ai embarqué à Bremerhaven, Allemagne

Je déclare sur l'honneur que :

  • Je ne suis pas anarchiste ni polygame
  • Je suis attachée aux principes de la Constitution des États-Unis
  • J'accepte de renoncer à toute allégeance à tout souverain ou autorité étrangère, en particulier au gouvernement de la République française (ou du Reich allemand)
  • Je demande à devenir citoyenne des États-Unis d'Amérique

Fait à New York, ce 19 mai 1928.
(Signature de la requérante) Valeria SEMEL

Limpide non ? Figurez-vous qu'il n'est né aucune Valeria SEMEL à cette date, ni à aucune date à Valff !

Pourtant, le document réitère le lieu et la date de naissance. Ce dernier indique une nouvelle information, dernière résidence : Overnai ! (naturellement Obernai). Son mari est Willy SEMEL. Donc théoriquement Semel est son nom marital et non son nom de naissance ! Replongeons donc le nez dans le registre de naissance du 27 février 1886.  

Le 27 février 1886 est née Maria Victoria Valeria RUCH, fille de l'aubergiste Charles Émile RUCH et de son épouse Maria MULLER. Tout s'éclaire ! Emile est né à Valff, son épouse est originaire de Moselle. Émile et sa femme décèdent à Obernai. La famille RUCH tenait, un temps, l'auberge de la Couronne à Valff. Elle s'est fait remarquer de nombreuses fois, parfois favorablement, parfois moins [à lire : Un corbeau à ValffExcursion vélocipédique en Alsace en 1888Aux ordres de Napoléon BonaparteRestaurant à la Couronne ou encore Quand le malheur frappe].

Valéria RUCH et son mari, William, ont embarqué sur le paquebot MUNCHEN à Bremenhafen en 1925.  

Les détails de la liste des passagers du navire Munchen indiquent que Valéria et son mari habitaient dans la rue de Strasbourg à Obernai. Son mari est comptable. Valeria semble être enceinte puisque leur fils Charles avait 5 ans en 1930. 

En 1930, ils sont recensés à Manhattan, New-York. Ils sont tous deux vendeurs et élèvent leur fils Charles âgé de 5 ans. Il semble que William soit d'origine juive. Il est né à GERA, situé en Thuringe en Allemagne. Le couple fait quelques aller-retour entre les deux continents comme en 1948 avec retour sur le SS New AMSTERDAM. 

Ou en 1951, de retour sur le navire Westerdam. Ils déclarent habiter au 154 East 55 street à New-York. 

Le 3 juillet 1952, Valeria décède à Hanovre en Basse-Saxe à l'âge de 66 ans. L'escapade américaine ne semble pas avoir été satisfaisante. 

C'est ainsi que nous terminons notre liste des émigrés valffois. Le sentiment dominant est qu'au XXIe siècle, grâce aux sites dédiés, il est possible de retracer la vie de nos citoyens en espoir d'une vie meilleure. Certains ont engendré une descendance. Certains ne connaissent pas du tout leur histoire. Ces suites d'articles serviront peut-être, à quelques-uns de ces curieux, à éclairer la vie et le contexte de leurs ancêtres. 

Autres articles :

Sources :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.