Alambic ambulant distillant des pommes pour produire le cidre en 1923 (source : recherchesgenealogiques.com)

Pour un verger traditionnel où dominent les quetsches, les mirabelles, les cerises, l'utilisation naturelle a toujours été le distillation et la production d'alcools blancs. Le législateur ayant supprimé le privilège de produire 10 litres d'alcool à 100° en franchise, soit 20 litres de schnaps à 50°, les bouilleurs de cru disparaissent avec le décès du propriétaire du verger qui en était investi avant 1952. Les associations et la confédération régionale, avec les élus locaux, luttent depuis près d'un quart de siècle pour que ce privilège soit rétabli, ce qui semble de plus en plus incertain. Aussi, les vergers s'étiolent-ils, les arbres ne sont plus taillés et les fruits restent aux arbres et pourrissent. Les friches envahissent l'espace libéré. Cet élément essentiel du paysage se trouve en plein marasme.

Mais revenons à la méthode de distillation qui était de coutume et que mon père employait encore après la deuxième guerre mondiale. Il était propriétaire d'un alambic avec un chapiteau à deux sorties, un héritage de ses grands parents. C'était un modèle en provenance d'Allemagne, qui s'est introduit en Alsace après 1870. Cet alambic en cuivre, de fabrication artisanale et d'une contenance de 100 litres, était muni de trois supports rivetés. Il était donc destiné à être incorporé dans un four cylindrique conçu de pierres réfractaires, muni d'un foyer pour chauffage au bois. Ce four était raccordé à une cheminée attenante, et se trouvait dans un local de la cour fermière (buanderie ou atelier de distillation), donc à considérer comme un alambic fixe. A côté du four se trouvait le réfrigérant, une cuve cubique d'une contenance de 500 litres, traversée de deux tuyaux soudés de haut en bas pour liquéfier les vapeurs obtenues par distillation. Les deux tuyaux étaient munis à leur sortie du bas d'une tige en bois taillée en pointe, permettant de surveiller le débit régulier de l'eau-de-vie récupérée dans un petit tonneau ou cruche en terre cuite, préalablement filtrée à travers un feutre.

Les vendanges chez Antoine KEMPF en 1960

Les fruits fermentés sont chauffés à 80°, une régulation minutieuse s'imposait, soit en réduisant la chaleur dans le foyer de chauffe, soit en réglant le tirage de la cheminée. La qualité du produit dépendait beaucoup des soins apportés à son élaboration, et, en premier lieu, à la distillation. Celle-ci s'opérait en deux temps. D'abord on procédait à une distillation primaire qui donnait le flegme (luttering) sans tenir compte des degrés du produit. Ce produit était redistillé et cette seconde chauffe ou bonne chauffe (Gutbrand) produisait alors une eau-de-vie de qualité. Durant la seconde opération, les produits dits « de tête » (premiers alcools recueillis) et ceux dits « de queue » (les derniers recueillis) sont séparés de ceux dits « de coeur », Si on détourne la première quantité de goutte sortant à 90°, on obtient un remède efficace contre les hématomes, les rhumatismes, les plaies. Le dernier produit qui n'atteignait plus les degrés escomptés était considéré comme du flegme et conservé pour une prochaine distillation. Pendant la phase finale de la distillation, on surveillait avec l'alcoomètre le produit fini jusqu'à l'obtention du degré exigé, soit en moyenne 50° (avec un alcoomètre d'origine allemande on mesurait 21°). Il était de coutume de boire « la goutte » fréquemment pendant la journée de distillation, en se servant d'un petit verre (Schauglas) permettant de vérifier la clarté du produit.

Moment de convivialité au restaurant « Au soleil » pour Alphonse SIMON, Emile VOEGEL, Antoine MULLER, Paul SAAS, René MULLER, Arsène ANDRES, André GOETTELMANN et René ZAHNBRECHER en 1953

Le mode de distillation a rapidement évolué. Les alambics à bain-marie avec col de cygne ont fait leur apparition ainsi que les alambics mobile vers 1950. La distillation familiale a été considérablement réduite avec la disparition des ayant-droits au profit de la distillation industrielle de l'alcool. En plus, il est bien difficile de distiller incognito. Même si l'on n'a pas remarqué la fumée avant de rentrer dans l'atelier, on devinait le bouilleur de cru surveillant son alambic, car une bonne odeur de fruits fermentés inondait les alentours.

Les chapiteaux et cols de cygne des alambics étaient conservés soit à la mairie, soit chez l'employé communal. On pouvait les retirer le jour même de la distillation sur présentation de l'autorisation du service des impôts. Le temps de distillation était défini par ce service sur la base de la quantité du produit à distiller. Le soir même, le chapiteau ou le col de cygne devait être impérativement rapporté au conservateur agréé. La circulation et l'usage des alambics font toujours l'objet d'une réglementation fiscale. Les dépôts des chapiteaux et cols de cygne étaient assurés par Louis SCHAETZEL jusqu'en 1951, puis successivement par Paul SAAS jusqu'en 1974 et Henri BOTTIN de 1974 à 1998, et en dernier lieu, par Joseph KIRRMANN à partir de 1998. En 1951, il y avait à Valff 34 alambics déclarés, en 1988 il restait encore 11 alambics privés avec droit de distillation, ainsi que deux alambics mobiles exploités par la famille Paul VOEGEL (n°200a).

Pourquoi cette eau-de-vie était-elle si précieuse et sacrée ? Pour les paysans, dans leur travail souvent dur, en remerciement pour les services rendus, pour la fabrication d'une liqueur (cassis, noix, malaga ...) pour agrémenter la pâtisserie et les gâteaux, pour déguster le brûlot (eau-de-vie brûlée avec du sucre), pour les tartines (pain humidifié avec schnaps et saupoudré de sucre), pour soigner les maux de dents ... Jadis, Valff avait son propre vignoble au lieu-dit « Rietherfeld », mais certains exploitants possédaient encore des parcelles de vignes à Bourgheim, Gertwiller, Goxwiller et Heiligenstein. Ceux qui n'avaient pas de verger distillaient soit de la lie-de-vin (Weinhefe) soit du marc de raisin (Weintrester).

Ce qui nous fait le plus plaisir ce sont les fruits que nous pouvons récolter, sans avoir semé.

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.